Paysans, nos essentiels !

Par Gabriel Delabays, assistant parlementaire

La révolte gronde dans nos campagnes, dans celles européennes, mais aussi ailleurs dans le monde. Des tracteurs défilent dans les grandes villes, à Genève également, des bottes sont suspendues, des panneaux retournés. Ce n’est pas une simple grogne passagère, mais un véritable cri d’alarme. Si la situation helvétique est différente qu’ailleurs, les autorités à tout niveau doivent tout de même réagir avec le plus grand sérieux à cette situation.

LE FOSSÉ ENTRE LES POPULATIONS CITADINES ET RURALES 
La crise actuelle est révélatrice du fossé toujours plus grand qui s’est creusé entre des populations urbaines et des amoureux de la terre et de la nature dans nos campagnes. On s’arrête maintenant au stand fruits et légumes dans un supermarché sans se poser la question du travail réel qu’il y a derrière la belle salade qui trône au milieu du rayon. 

Ou du moins, certains se la posent, mais vivent dans une belle incohérence. Ceux-là même qui ont milité pour l’application de textes comme les initiatives phytos en 2021, qui veulent toujours plus de produits bio, toujours plus d’exigences de la part des agriculteurs, mais ne prennent pas la peine d’aller à leur contact ou ne veulent pas payer le prix décent que mériterait un beau produit issu des champs de nos régions. Nous voterons d’ailleurs, cette année certainement, sur une initiative dite « pour la biodiversité », qui exige davantage de surfaces et de fonds publics en faveur de la biodiversité. Un texte qui menace à nouveau nos agriculteurs, alors que les familles paysannes suisses consacrent déjà 19 % de leur surface agricole utile à la promotion de la biodiversité, bien plus que les exigences légales. 

De même, beaucoup ont tendance à préférer, dans ce même supermarché proche de chez eux, en plein mois de février, des aubergines colorées tout droit venues d’Espagne, au lieu de préférer ce magnifique chou blanc estampillé « de la région ». Et pourtant, un chou farci à la viande hachée, c’est autant de plaisir dans l’assiette qu’une parmigiana.

LA RÉALITÉ DES AGRICULTEURS
Le constat est sévère : nos agriculteurs ont depuis longtemps mauvaise presse, on les accable de mille maux, de participer au réchauffement climatique, on leur demande toujours plus d’exigences, légales ou sociétales, de consacrer toujours plus de terres à la biodiversité tout en leur mettant la pression pour qu’ils nourrissent une population de plus en plus nombreuse. La réalité est tout autre : nos agriculteurs sont des passionnés, qui aiment la terre, et qui ont conscience de l’importance d’avoir une nature saine pour produire de beaux produits. Ils n’ont que deux seules exigences : qu’on les laisse effectuer leur travail, avec une rémunération correcte.

Nos agriculteurs sont des passionnés, qui aiment la terre, et qui ont conscience de l’importance d’avoir une nature saine pour produire de beaux produits.

LE PRIX DE « L’OR BLANC »
Or, on leur met toujours plus de pression pour avoir les prix les plus bas possibles. Preuve en est, des producteurs de lait baissent les bras car le prix de « l’or blanc » ne permet pas de couvrir les coûts de production. La Suisse risque bien à terme de ne plus pouvoir utiliser ses vaches, dont elle est si fière, comme carte postale. Des initiatives existent pour mieux rémunérer les agriculteurs, mais elles sont encore insuffisantes. Une transparence accrue de la part de l’ensemble de la distribution sur les prix et les marges serait bénéfique, car elle permettrait aux agriculteurs de mieux pouvoir négocier, et d’avoir des prix dignes leur permettant d’être correctement rémunérés pour leur travail. D’autant que les coûts de production ont tendance à augmenter en raison des pressions liées au contexte international et à l’augmentation du prix des matières premières et de l’électricité. 

DE NOMBREUSES EXIGENCES ÉTATIQUES
Ensuite, il y a les exigences de l’État, toujours plus nombreuses. Les exploitations agricoles suisses souffrent d’une augmentation permanente des contraintes et de la charge administrative. Les organisations agricoles ont d’ailleurs remis une pétition dotée de 65 000 signatures au Conseil fédéral, accompagnée d’une pile de 4000 pages de textes de loi. C’est représentatif de la réglementation à tout-va dans le secteur agricole et de l’augmentation de la bureaucratie. Les autorités fédérales, l’Office fédéral de l’Agriculture en premier lieu, devraient mettre à l’ordre du jour la nécessité de diminuer cette charge administrative. Et aussi collaborer avec les cantons, qui ajoutent leurs exigences à ce millefeuille qu’est le fédéralisme. Les normes qui pèsent sur l’agriculture suisse la rendent qualitativement meilleure que l’agriculture ailleurs en Europe. Cependant, tout doit être mis en œuvre pour faire en sorte que nos paysans soient davantage dans les champs que dans les formulaires. 

UNE DÉMARCHE INTERCANTONALE
Le Grand Conseil sera d’ailleurs saisi lors de sa prochaine session d’une résolution intitulée « pour que la colère des paysannes et des paysans suisses ne reste pas lettre morte », signée par la quasi-totalité des partis dont le PLR. Ce texte, qui s’inscrit dans une démarche intercantonale, demande à l’assemblée fédérale de mettre en œuvre des solutions pour répondre aux revendications paysannes, et au Conseil d’État de soutenir les démarches allant dans ce sens. Le groupe PLR avait d’ailleurs à plusieurs reprises, lors de la précédente législature et au début de l’actuelle, soutenu des textes visant à faciliter le quotidien de nos agriculteurs. Le programme du PLR pour 2023-2028 le mentionne également, à son premier chapitre consacré à l’agriculture, « il faut lever les obstacles et les contraintes, et inciter plutôt qu’interdire ». 

Aussi, il serait intéressant d’inciter à ce que plus de cantines publiques et scolaires s’alimentent en produits locaux, pour la confection des repas servis dans les institutions subventionnées et les écoles du canton. De nombreux restaurants de la place genevoise et des cantines privées le font d’ailleurs déjà. 

LE RÔLE DES CONSOMMATEURS
Enfin, la balle est dans le camp des consommateurs. Si ceux-ci étaient pressés d’aller au contact des agriculteurs pendant la pandémie, à la sortie du confinement tous sont repartis au supermarché et la vente directe s’est effondrée, alors que le produit vendu chez le paysan du coin n’est souvent pas plus voire moins cher que dans les rayons des géants de la distribution. Pensons et retournons donc consommer local. Car sans nos agriculteurs, pas de carottes, ni de patates, ni de viande dans nos assiettes. Réapprenons aussi à aller au contact de nos paysans, nos essentiels. Certaines faîtières mettent d’ailleurs en place des visites à la ferme, des exploitations s’ouvrent pour les brunchs du 1er août. Pourquoi ne pas penser aussi à mettre en place, dans les établissements scolaires, des courses d’école aux champs et dans les exploitations agricoles, pour pouvoir comprendre à nouveau ce que veut dire le « travail de la terre » ? Ou a contrario, inciter à faire venir l’agriculteur en classe pour sensibiliser à l’importance du consommer local ?

Les exploitations agricoles suisses souffrent d’une augmentation permanente des contraintes et de la charge administrative.