La finance d’impact en cinq questions

Par Alexandre Prautzsch et Hristina Stoyanova*

LE MONDE DE L’INVESTISSEMENT, NOTAMMENT CELUI DE LA GESTION DES CAISSES DE PENSION DU DEUXIÈME PILIER, CONNAÎT DEPUIS QUELQUES ANNÉES UN BOULEVERSEMENT SANS PRÉCÉDENT EN FAVEUR DE LA FINANCE DURABLE. ALEXANDRE PRAUTZSCH ET HRISTINA STOYANOVA ÉCLAIRCISSENT POUR NOUS LA NOTION DE FINANCE D’IMPACT ET ESQUISSENT LA PROPOSITION DES MEMBRES DE LA SOUS-COMMISSION POUR LA FINANCE DURABLE DU PLRG QUI CONSISTERAIT À MODIFIER L’ORDONNANCE FÉDÉRALE SUR LA PRÉVOYANCE PROFESSIONNELLE VIEILLESSE, SURVIVANTS ET INVALIDITÉ (« OPP 2 »).

PROPOSITION DE MODIFICATION DE L’OPP 2

Parmi les diverses approches de la finance durable, on trouve la finance d’impact, aux caractéristiques attractives mais souvent mal comprises, et qui souffre d’un cadre réglementaire peu adapté. La modification de l’OPP 2 proposée par les membres de la sous-commission pour la finance durable du PLRG porterait sur la création d’une nouvelle catégorie d’actifs pour les investissements d’impact dans les grilles de placements autorisés de l’art. 53 OPP 2 avec des limites d’investissement qui sont propres aux investissements d’impact (modification de l’art. 55 OPP 2). Il convient de souligner que les investissements d’impact doivent être réalisés sous la surveillance de l’organe suprême de l’institution de prévoyance qui doit définir, surveiller et piloter la gestion des avoirs en tenant compte des rendements et des risques (art. 49a al. 1 cum art. 50 OPP 2).

L’un des principaux défis de la finance durable réside dans l’absence de définitions claires.

INVESTISSEMENTS DURABLES, INVESTISSEMENTS RESPONSABLES, ESG, BLENDED FINANCE, FINANCE D’IMPACT, DE MULTIPLES CONCEPTS PARSÈMENT AUJOURD’HUI LE MONDE DE L’INVESTISSEMENT. COMMENT S’Y RETROUVER ?

Si le concept ne date pas d’hier, les dernières années ont conduit à une codification plus formelle, notamment au sein de l’Union européenne (UE) avec le règlement SFDR sur la publication d’informations en matière de durabilité dans le secteur des services financiers, ainsi que le règlement sur la Taxonomie européenne. Le droit de l’UE ayant des effets extraterritoriaux, il convient de souligner son importance pour la place fi nancière suisse et ses acteurs.

En Suisse, l’Association des gestionnaires de fortune (AMAS) a précisé certaines notions dans le cadre de son autoréglementation, applicable aux établissements qui y sont affiliés. De surcroît, Swiss Sustainable Finance, qui comprend plus de 200 membres, œuvre activement à la promotion de la finance durable, à l’engagement des diverses parties et à une compréhension homogène des principes de durabilité en finance.

Dans ce contexte de définitions multiples avec des portées juridiques différentes, la finance durable est souvent interprétée à travers les critères ESG (Environnement, Social, Gouvernance). L’application des critères ESG dans l’investissement prend plusieurs formes, allant de l’exclusion pure et simple de certaines sociétés (par exemple jugées trop polluantes) à un véritable engagement de l’actionnaire, qui cherchera à influencer directement le comportement d’une entreprise dans les dimensions précitées.

ET LA FINANCE DITE D’IMPACT DANS TOUT CELA ?

Pour comprendre la finance d’impact, il faut la placer dans le contexte général de la finance dite « traditionnelle » dans laquelle la notion de couple rendement-risque est prédominante.

Les portefeuilles de placement ESG reposent toujours sur le concept clé du rendement-risque, complété par l’utilisation de filtres pour la sélection des véhicules de placements sur des critères non financiers.

Dans la finance « d’impact », on inclut la recherche active d’un ou plusieurs impacts sociaux ou environnementaux spécifiques, idéalement mesurables d’un point de vue qualitatif et quantitatif. C’est ainsi une approche beaucoup plus proactive que la gestion ESG.

Dans la finance « d’impact », on inclut la recherche active d’un ou plusieurs impacts sociaux ou environnementaux spécifiques, idéalement mesurables d’un point de vue qualitatif et quantitatif.

ON SE RAPPROCHE DONC DE LA PHILANTHROPIE ?

Pas vraiment, car tout investissement implique une attente de rendement financier. Et les statistiques historiques de rendements financiers obtenus par les investisseurs d’impact n’ont pas à rougir de la comparaison avec les approches plus classiques, surtout si l’on tient compte de la diversification importante que de tels placements apportent à des portefeuilles multi-actifs. Dans le domaine philanthropique, les acteurs se focalisent plutôt sur les distributions à des bénéficiaires bien définis, avec une attente de résultats essentiellement non financiers.

QUELS SONT LES AUTRES CARACTÉRISTIQUES DE LA FINANCE D’IMPACT ?

Les investissements d’impact se trouvent principalement sous trois formes : les placements en infrastructures, les placements en private debt et les placements en private equity. En outre, les marchés émergents sont souvent privilégiés par les investisseurs d’impact, car les besoins (et les opportunités) de financement pour des objectifs sociaux ou environnementaux y sont beaucoup plus importants que dans les pays industrialisés. Il s’agit donc pour l’essentiel d’un investissement à long terme, dans des classes d’actifs peu liquides, et qui sont dès lors considérés comme « placements alternatifs ».

POURQUOI UNE NOUVELLE CATÉGORIE DANS L’OPP 2 ?

Les investissements d’impact, catégorisés comme « alternatifs », se retrouvent donc dans la même catégorie que les fonds spéculatifs (hedge funds, pour l’essentiel). Leur vocation est pourtant toute différente. Si les hedge funds ont pour vocation de réaliser des plus-values en exploitant et corrigeant les imperfections du marché, les investissements d’impact ont pour vocation de financer l’économie réelle, là où les besoins sociaux et environnementaux sont les plus pressants.

Il est donc opportun de définir et prévoir une allocation spécifique à de tels investissements parmi les placements autorisés des caisses de pension du deuxième pilier, tels que prévus par l’OPP 2. La faible liquidité des investissements d’impact est souvent mal perçue par les gérants de fonds, qui estiment que le fait de pouvoir vendre rapidement leurs placements les protégerait en cas de crise. Or, en pratique, personne n’est capable de prévoir un crash et ceux qui liquident leurs positions le font souvent au pire moment et dans des conditions très dégradées.

Offrir la possibilité aux caisses de pension suisses d’investir dans une classe d’actifs « nouvelle », dotée d’une allocation réglementaire spécifique pour leurs investissements d’impact, c’est leur permettre de favoriser l’économie réelle en augmentant leur exposition au développement durable dans l’une de ses formes les plus convaincante, tout en bénéficiant d’une diversification dans des investissements peu corrélés aux marchés financiers traditionnels.

* Les auteurs de la présente contribution remercient chaleureusement le député PLR Alexandre de Senarclens pour sa relecture, ainsi que pour sa contribution active aux travaux de la sous-commission pour la finance durable du PLRG et le projet de modification de l’OPP 2.