Présent insaisissable avenir inconnu

Peut être est-il confortable de ne pas trop réfléchir au sens des choses, de ne pas vivre le présent en nous liant à une interrogation sur l'avenir. Mais les animaux qui n'anticipent pas ne sont pas épargnés par l'émotion et l'angoisse. Chez les hommes, il y a des philosophies qui prônent le détachement, mais elles se posent dans les marges de l'histoire humaine en marche. Et puis, finalement, c'est le poids mais également l'intérêt de la condition humaine que de s'interroger sur le présent et sur l'avenir qui se prépare.

Voilà ce que l'on se disait en écoutant, l'autre soir à la Société de lecture, une conférence du penseur et économiste Thierry Malleret, invité par un Groupe de réflexion dont Yves Oltramare a eu l'idée. Beaucoup d'éléments ont évidemment passé dans cet exposé. La puissance de la Chine mais aussi les risques pour elle-même et donc pour le monde. Le poids croissant d'autres pays émergents, Brésil, Inde… La puissance persistante des Etats-Unis mais confrontée à un monde multipolaire empêchant tout ordre imposé. Un facteur démographique qui fait de plus en plus surgir l'importance de l'Asie, de l'Afrique. Des crises et des conflits qui éclatent un peu partout, rapides, contagieuses, quand bien même les causes profondes viennent souvent d'événements historiques lointains. Une Europe qui vieillit, qui cherche laborieusement à articuler sa structure. Des flux migratoires qui font peur. Des réactions populistes dont on ne sait pas jusqu'où elles pourraient aller. Nos systèmes démocratiques à l'épreuve devant cette immédiateté, cette transparence laissant peu de place au temps de la pensée, cette accélération de tout qui provoque des réactions plutôt que des actions nourries de réflexions qui permettraient des stratégies coordonnées, cohérentes et continues. Bref, les acteurs nominalement responsables, politiciens, chefs d'entreprises, banquiers… ont-ils encore prise sur le cours des choses ou bien de ne sont-ils que des figurants prenant des postures et s'agitant au bord d'un flux de l'histoire qui leur échappe ?

Oui, après avoir écouté ces propos, on sortait bien songeur à l'air frais. Et la question d'un auditeur résonnait dans les têtes : bon et alors qu'est-ce que l'on fait ?

A chacun sa réponse. Exprimons en une ici, en cette période où se commémore l'Escalade. Lorsque tout devient insaisissable, c'est le moment de s'accrocher d'abord à des valeurs fortes et simples, à ce qui fonde nos identités. La culture de la vie en commun, une liberté individuelle trempée dans un sens de la responsabilité, l'apport à la recherche de solutions collectives aux divers échelons : proximité, national, continental, mondial. Osons dire que c'est un peu cela l'esprit dit de Genève. Et puis il faut associer deux jumeaux en soi : celui qui sait que tant de choses lui resteront inconnues et celui qui pourtant s'engage résolument au nom de ses valeurs, dans le sens de ce qu'il croit être le mieux pour le présent et pour préserver l 'avenir. A vrai dire, tout au long de l'histoire des hommes il y a eu de ces engagés qui ne savaient pas vraiment comment les événements allaient tourner et qui se sentaient si minuscules. A la fin cette cohorte d'hommes et de femmes s'exposant sans peur et sans reproche devant le présent ont contribué, sans que cela soit mesurable, à la marche de l'histoire. C'est vrai, beaucoup nous échappe. C'est vrai, modeler l'avenir est de plus en plus aléatoire. Mais tant qu'il y aura des hommes et des femmes voulant observer, réfléchir, se regrouper afin de donner du sens à leur vie et à la vie, le pire ne sera pas certain et des lueurs d'espoir éclaireront le chemin broussailleux que nous offre l'avenir.