Maillard joue avec le feu

Dans La Tribune de Genève du mercredi 14 avril, Pierre-Yves Maillard s’exprime au sujet du projet d’Accord cadre avec l’Union européenne. Avec l’allié objectif qu’est une Droite souverainiste, il s’apprête à en être l’un des fossoyeurs de ce projet; sous évidemment de bonnes raisons à ses yeux. L’audience de cette forte personnalité qu’est le Président de l’Union syndicale suisse est grande. La position du syndicat national qu’il dirige a et aura un fort impact. 

Ses raisons de refuser le projet d’Accord général, on les connait. Il ne veut pas que la Suisse doive reprendre le droit actuel et futur de l’UE sur la protection des salaires et le rôle de l’Etat. Avec d’autres accents, Christoph Blocher ne dit pas vraiment autre chose. Comme si, au cours de l’application des Accords bilatéraux, la Suisse n’avait pas cessé de reprendre le Droit communautaire dans son développement. Et cela dans son intérêt. Comme le souligne très bien le professeur Thomas Cottier (çf-le Temps du 14 avril) on s’enfonce dans les malentendus et l’on instruit de faux procès contre l’UE. Celle-ci a fait des concessions substantielles dans le projet d’Accord-cadre. Elle accepte notamment une Cour arbitrale paritaire traitant de litiges éventuels au sujet d’une application de l’Accord. Mesure-t-on l’ampleur du geste qui serait ainsi consenti par un ensemble de vingt-sept pays à l’égard du pays tiers qu’est la Suisse? Ce genre d’arbitrage pourrait concerner la question des salaires légitimement chère à Pierre-Yves Maillard. 

Le risque de braquer l’UE, n’en pouvant plus des complications et des blocages helvétiques, est réel. Le syndicaliste le minimise. <On verra, dit il> , comme un joueur de poker. Lui ne pense pas que nos grands voisins, qui ont besoin des échanges importants avec la Suisse, se braqueront et nous mettront en position défavorable. Il nous voit continuer avec bonheur au fil d’Accords bilatéraux, au coup par coup et sans danger pour les acquis. Cette idée, lourde d’un risque d’illusion, se répand dans la population. Le Conseil fédéral , pas unanime hélas sur le dossier, a manifestement peur du peuple, et d’un rejet de l’Accord cadre comme celui de l’EEE en 1992. Le Gouvernement s’est réfugié dans l’attentisme, comme s’il ne savait plus à quel saint se vouer. Ignazio Cassis est invisible et il est tout sauf un leader capable de connecter politique étrangère et politique intérieure. 

Nous pensons que des erreurs graves d’appréciation de la situation ont d’ores et déjà été commises. Pour des raisons compréhensibles Bruxelles ressent le besoin d’un cadre juridique, diplomatique dans lequel placer le processus des relations avec le pays tiers qu’est la Suisse. Dans son intérêt, et si elle veut rester une accompagnatrice  favorisée sur le cheminement européen, la Suisse doit regarder les réalités en face. Dans ce genre de rendez- vous , un gouvernement et des partenaires sociaux à la hauteur doivent, bien sûr , défendre solidement leurs points de vue. C’est normal. Mais, à un moment donné, ils doivent aussi mettre les éléments d’appréciation en balance, comprendre la position et les limites d’ouverture de l’interlocuteur. Ils seraient très imprudents de jeter le bébé avec l’eau du bain. Une tension durable avec l’UE, c’est un risque de remise en cause des accords acquis essentiels; et de difficultés à se brancher sur des coordinations futures. C’est un risque pour nos industries, notre secteur financier, notre recherche, nos universités , nos banques, notre agriculture etc... 

Que le Conseil fédéral essaye encore d’obtenir des explications, des assouplissements, par exemple sur les salaires des travailleurs détachés, soit! Mais, que sous pressions  et par peur du peuple il enterre ce projet d’Accord-cadre, voilà qui sera une bien mauvaise défense des intérêts de notre pays. Avec le recul, on dira même, peut être d’un Pierre-Yves Maillard qu’il aura égaré les travailleurs suisses qu’il voulait défendre. Est-il encore temps d’une lucidité courageuse?

Jacques-Simon Eggly