Napoléon et nous

Napoléon et nous

Lu plusieurs articles bien pensés et bien exprimés à l’occasion de la commémoration de la mort de Napoléon. Et, n’en déplaise aux détracteurs du Président, Emmanuel Macron a une nouvelle fois prononcé un discours remarquable de justesse, dans le forme et sur le fond. 

Nous, Suisses, aurions tort de ne voir en Napoléon qu’un tyran. En 1798, la Confédération de l’Ancien régime était à bout de souffle, ayant été incapable de se rénover. Le Directoire français, appelé d’ailleurs par des révolutionnaires suisses , n’avait eu aucune peine à envahir la Suisse et à lui imposer un régime centralisé copié sur le sien: la République helvétique . Quatre ans plus tard, ce fut l‘intelligence de Bonaparte, encore premier Consul, de comprendre qu’un tel régime était impossible dans une Suisse vivant historiquement et réellement de ses cantons Avec son Acte de médiation, il créa une Confédération de dix-neuf cantons ,—au lieu de treize. Vaud, Argovie, Thurgovie, St-Gall, les Grisons, le Tessin devinrent des cantons à part entière. Certes, la Suisse devenait un pays satellite de la France, mais tout n’était pas négatif. 

Ah oui, Genève annexée en 1798, devint encore plus ville française avec Napoléon; qui confirma pour Neuchâtel et annexa le Valais. Mais, À Genèver non plus, le patriarcat n’avait pas su évoluer. Et d’illustres personnalités, telle le futur Général Dufour, ne se trouvèrent pas si mal sous le joug de l’Empereur. Alors, quand on fête , à Genève, le départ des troupes françaises, fin 1813, ce n’est pas un hasard si nos vieux grenadiers de toutes les célébrations ont un furieux air de grognards de l’Empereur. 

En fait, si l’on veut bien replacer le personnage dans son époque, on doit reconnaître qu’il a réussi d’abord une conjonction entre l’héritage de la Révolution et un retour à l’ordre, à la paix civile.  En 1799, le retour sur le vieux trône du frère de Louis xv1 n’était guère pensable. L’idée d’un ordre européen nouveau, avec  des nations libérées des anciens régimes,  faisait tressaillir toute l’Europe. Goethe, Beethoven et d’autres applaudirent durant un moment le grand libérateur. Hélas, cette conscience d’être à un noeud historique fut submergée chez lui pas l’ivresse du pouvoir et de la conquête. A une Europe des nations sur pied d’égalité, il préféra une Europe à domination française . Sa nouvelle dynastie aurait pu irriguer durablement le continent. Il en fit un repoussoir et l’aventure ne dura que quinze ans, provoquant une coalition réconfortant pour longtemps les anciens régimes. Des réalisations durables lui sont pourtant imputables. La France vit toujours de sa réorganisation. Mais, comme Jean d’Ormesson, on a le droit de préférer le premier Consul à l’Empereur. 

Cela étant, le Président Macron a raison de dire que de vouloir éliminer de la mémoire une figure, des événements qui heurtent en partie les sentiments d’aujourd’hui est un grave contre sens. On doit connaître son histoire et ses figures marquantes. On doit la remettre et les remettre dans les contextes des époques considérées. On doit assumer l’héritage, avec esprit critique, certes, mais en s’éloignant d’une critique purement idéologique qui condamnerait tout en n’expliquant rien. Cela vaut même dans les exemples extrêmes, comme le Nazisme ou le Stalinisme. La condamnation , dans ces cas, doit être absolue mais intelligente; comment cela a-t-il été possible, pourquoi, dans quel contexte, après quelles erreurs des régimes précédents? 

Pour en revenir à l’évocation de Napoléon, qui n’était ni Hitler ni Staline, on ferait bien de réfléchir. Châteaubriand et Tocqueville étaient des conservateurs qui pensaient qu’un avenir devait se construire sur une continuité, une stabilité, mais sachant s’adapter. Châteaubriand fut désespéré par Charles x, Tocqueville par Louis-Philippe. Et Louis xvi, mal influencé par sa femme, qui ne comprit rien avant de mourir avec un grand courage, aurait peut être créé une monarchie constitutionnelle à l’anglaise s’il avait écouté Mirabaud. Avec des si... La France ne connait guère le mot adaptation. On passe de Louis XIX à Robespierre , puis  à Napoléon; de la quatrième république temple de l’instabilité à la République présidentielle  sans cesse contestée dans la rue. Alors, osons une conclusion. Si l’avenir le meilleur était le mieux construit par des conservateurs sachant guider les adaptations en temps voulu. Ah, si Bonaparte avait résisté au désir fou de devenir Napoléon le grand! L’Europe aurait peut être suivi un autre chemin.                                                                                                                                    

Jacques-Simon Eggly