La presse locale a récemment fait ses grands titres d'une étude
élaborée par la Haute école de gestion de Genève (HEG) et intitulée « Le
poids de l'économie créative et culturelle à Genève ».
Il en
ressort que l'économie créative et culturelle (ECC) représenterait 7,6%
des 366'764 emplois comptabilisés pour l'ensemble de l'économie
genevoise. Par ailleurs, la production au sein de l'ECC générerait 9,5 %
du produit intérieur brut (PIB) cantonal.
Les rubriques
culturelles de nos quotidiens jubilent à l'idée que l'ECC talonnerait le
secteur bancaire et financier et dépasserait largement l'horlogerie, la
construction et l'industrie chimique.
Au risque de casser
l'ambiance, j'émettrai quelques réserves face aux résultats de cette
analyse, sans mettre le moins du monde en doute la bonne foi de son
auteur.
En premier lieu, le fait que ce travail ait été
commandité conjointement par le Département de la culture et du sport de
la Ville de Genève et par le Département de l'instruction publique, de
la culture et du sport (DIP) devrait inciter à la prudence.
Par
ailleurs, l'auteur de la recherche exprime lui-même des réserves sur la
portée de son étude : « la principale difficulté de l'exercice réside
néanmoins dans la définition du champ de l'ECC. L'UNESCO reste sans
aucun doute le leader pour édicter des bonnes pratiques dans ce domaine.
A ce jour, toutefois, la standardisation dans ce domaine est loin
d'être acquise. Par conséquent, les diverses estimations réalisées au
niveau international sont difficilement comparables. La définition des
industries culturelles et créatives de l'UNESCO n'est pas aisée à
implémenter d'un point de vue statistique ».
En un mot, le choix du périmètre des activités concernées comporte une part d'arbitraire.
Pour
s'en convaincre, il suffit de prendre connaissance de l'inventaire à la
Prévert des domaines pris en considération dans le cas d'espèce : aux
côtés de l'édition de livres, des orchestres et des troupes de théâtres,
on trouve les activités des lapidaires (diamants et pierres précieuses)
et la fabrication d'articles de bijouterie en or et en argent. On
découvre également l'édition de logiciels et de jeux électroniques, la
fabrication de produits électroniques grand public, la programmation
informatique et les portails internet. Sans minimiser l'importance de
ces activités du point de vue économique, leur impact culturel ne saute
pas aux yeux.
A cela s'ajoute que l'étude en question divise
l'ECC en trois « Cercles de fonctions », à savoir : 1) le cœur de l'ECC,
2) la diffusion et la commercialisation et, enfin, 3) la préservation,
l'administration et la formation.
En termes d'emplois et de
valeur ajoutée, ce troisième cercle se taille la part du lion. Et je
vous le donne en mille, que trouve-t-on dans ce domaine : la formation
professionnelle de base, les hautes écoles spécialisées et pédagogiques,
l'enseignement culturel, les cours de perfectionnement professionnel,
la gestion des bibliothèques et des archives, la gestion des musées, les
services administratifs concernés en Ville de Genève et au Canton de
Genève, etc. Le propos n'est pas de contester ici la pertinence de ces
activités. On peut cependant avancer sans trop de risque l'hypothèse
qu'elles sont presqu'intégralement financées par l'impôt.
On peut
aussi s'étonner du fait que l'étude ne prenne pas en compte de manière
complète le subventionnement dont bénéficient de nombreuses entités. Par
exemple, en ce qui concerne le film et le cinéma, il n'est fait mention
que des contributions de la Ville et du Canton. Or, la SSR et l'Office
fédéral de la Culture participent massivement au financement de cette
industrie. On peut évidemment s'en féliciter. Mais les Genevoises et
les Genevois y contribuent directement par le biais de la redevance TV
et de l'Impôt fédéral direct (IFD).
La comparaison avec les
autres secteurs économiques du canton est également très partielle. Même
si l'on admet que l'ECC contribue à hauteur de 9,5% au PIB genevois, ce
qui peut être contesté, il n'en reste pas moins qu'il se situe loin
derrière le domaine bancaire et financier (13,3%) et à des années
lumières du commerce de gros et de détail (20,6 %) selon les données de
l'Office cantonal de la statistique. Ce dernier secteur comprend en
particulier le négoce de matières premières qui contribue de manière
déterminante à la création de valeur à Genève.
Enfin, ce travail
de recherche comporte une lacune majeure : il reste muet sur la
contribution fiscale des divers secteurs économiques du Canton.
En
2016, les secteurs de l'horlogerie et la bijouterie (21%), des
intermédiaires du commerce (19%) et des banques et assurances (26%)
assuraient 66% de l'impôt cantonal sur le bénéfice et le capital. Pour
l'impôt fédéral direct (IFD), les chiffres sont encore plus frappants,
puisque la part de ces trois secteurs atteint 72% en 2016. Précisons que
la notion d' « intermédiaires du commerce » concerne avant tout les
négociants en matières premières.
Sans la présence de ces
secteurs économiques générateurs de recettes fiscales considérables, il
tombe sous le sens que le domaine culturel, largement subventionné par
les collectivités publiques, municipales, cantonales et fédérales, ne
pourrait pas prospérer. Cette affirmation risque d'être perçue comme
arrogante par certains, elle n'est que factuelle.
En conclusion,
il serait fondamentalement erroné de sous-estimer l'importance de la
Culture pour notre Ville et notre Canton. En revanche, il est hasardeux
de se lancer dans de grandes théories sur l'impact économique de ces
activités. L'étude précitée démontre que l'on atteint rapidement les
limites de l'exercice.