L’arbalète d’un Tell et le fusil d’un autre

Prenez l'arbalète de Guillaume Tell, la hallebarde des gardes suisses peints par Hodler, ou encore le terrible Morgenstern caractéristique des mercenaires de suisse orientale ; il vous apparaîtra alors distinctement que les armes ont souvent, par le passé, été les garantes de la souveraineté de ceux que l'on n'appelait pas encore « les suisses ». 

C'est à cet arsenal, ou plutôt à sa symbolique, que le Conseil fédéral souhaite s'attaquer à l'occasion de la votation populaire du 19 mai 2019 sur l'Arrêté fédéral du 28 septembre 2018 concernant la reprise de la directive (UE) 2017/853, et modifiant la directive de l'UE sur les armes (FF 2018 6131). Cette modification fait partie du développement des accords Schengen en vertu desquels la Suisse est tenue d'adapter sa législation. 

L'objectif de la lutte contre le terrorisme 

L'Arrêté vise principalement le marquage systématique de tous les éléments essentiels des armes ainsi que l'amélioration du partage d'informations entre les États partis à Schengen. Il répond ainsi à un objectif principal qui est de lutter contre le terrorisme.

Il est utile de rappeler que la question de la menace terroriste reste d'actualité et revêt une importance nodale, de manière générale bien entendu, mais surtout dans la politique des Etats membres de l'UE. En effet, on pourrait avoir tendance à oublier que parmi nos voisins les plus proches, peu cultivent l'exemple de la neutralité suisse. Bien plus, la plupart des pays de l'UE sont engagés dans des conflits armés et adoptent une approche prosélyte de leurs idéaux, ce qui a pu être observé lors de l'épisode des printemps arabes par exemple. Face à ce constat, les électeurs européens, gavés régulièrement par une propagande qui relate ces faits divers de manière industrielle, attendent de leurs Politiques qu'ils prennent des mesures de luttes efficaces. Tout laisse à croire que les présentes modifications proposées le seront. 

Mais en quoi cela nous concerne-t-il ? Il est certain que la Suisse, en tant que pays d'Europe centrale, est une porte d'entrée possible à la menace du point de vue européen. De plus, la lutte contre le terrorisme est une problématique d'envergure globale qui nous concerne ici aussi, même en Suisse, et dont l'efficacité optimale pourra être atteinte grâce à une coopération active entre les Etats. 

Des changements plus symboliques que pratiques

En outre du marquage systématique et du partage amélioré d'information, mentionné plus haut, la modification proposée ne prévoit que quelques nouveautés administratives ponctuelles, soit principalement un devoir de déclaration, qui ne concerne que certaines armes. En particulier, les changements ne touchent pas le célèbre F ass 90, fusil d'assaut du soldat suisse, et ne remet pas en question notre capacité, de l'ordre de l'hypothétique hypothèse, à un jour pouvoir nous défendre contre un agresseur qu'aujourd'hui personne ne saurait plus nommer. Au surplus, les diplomates suisses ont habilement pu négocier certaines exceptions avec l'UE, notamment concernant l'arme d'ordonnance et le tir sportif qui ne modifiera ainsi pas les traditions suisses. 

Partant, pourquoi discuter longuement d'une loi mue par des buts légitimes, consensuels, et aux changements minimes direz-vous ? Car elle touche à l'image symbolique, un peu surannée, de la représentation d'un patriote suisse armé pour défendre sa liberté, tel que dépeint par l'imaginaire collectif du serment du Grütli. La symbolique est importante car elle capte l'attention du public et donne à l'objet un caractère qui dépasse souvent ce qu'il représente véritablement. Ainsi, les débats des partisans du rejet sont souvent axés sur des arguments émotifs plutôt que sur les implications réelles du changement pratique opéré. Ici pourtant, le choix objectif qui relèverait de la raison peut certainement convaincre du fait que ces adaptations sont prises au bénéfice du plus grand nombre. 

Un couteau sous la gorge des suisses ? 

Nous arrivons au moment délicat de parler des conséquences en cas de rejet ; soit de ce que certains interprètent comme une « menace indirecte permanente » ou un « chantage perpétuel » de l'UE vis-à-vis de la Suisse. En effet, en cas de refus par le peuple, les clauses dites « guillotines » contenues dans les accords Schengen mettront fin automatiquement à l'intégralité desdits accords. Dans une telle hypothèse, les Etats membres de l'Union européenne aurait alors la possibilité de maintenir les accords in extremis – ce qui semble peu probable dans une Europe qui doit se réaffirmer après le vote du Brexit - par une décision à l'unanimité qui accepterait le maintien des accords avec la Suisse, malgré cette divergence. Si tel n'était pas le cas et que la Suisse sortait de Schengen, alors des répercussions importantes se feraient sentir dans les domaines de la sécurité, de l'asile, du trafic transfrontalier et de la liberté de mouvement pour un coût que le Conseil fédéral estime à plusieurs milliards de francs. 

D'aucuns estiment que cette situation représente un énième coup de pression de l'Union Européenne vis-à-vis de la Suisse. Premièrement, c'est une évidence de rappeler que le rapport de puissance n'est pas proportionné entre la Suisse et l'UE et rien ne pourra modifier cette situation de fait. Ensuite, il convient de préciser que la Suisse, en tant qu'Etat souverain, n'a pas de couteau sous la gorge, et qu'elle reste libre de faire un choix. Ce dernier peut s'avérer lourd de conséquences, mais il serait inexact de dire que l'Union Européenne nous impose une quelconque obligation, même cachée. 

Le mot de la fin : votez oui à l'Arrêté c'est un choix de raison 

La position du Conseil fédéral, du Parlement et du PLR Genève est claire et relève d'un choix de raison, à savoir qu'il faut accepter l'Arrêté et ainsi voter oui. On relèvera que la section des JLR Genève se place en opposition à ce conseil en recommandant de voter son rejet, notamment pour des raisons liées à la souveraineté et à la liberté personnelle du citoyen suisse face à un droit européen injonctif. 

Pour clore en quelques mots, il me semble que la mise en péril de Schengen est exclue dans cette situation et que la pesée des intérêts, symboliques d'un côté et objectif et pratique de l'autre, fait de l'issu du débat une évidence. A titre personnel, j'aime d'avantage à penser la Suisse comme un Etat central et interconnecté à l'Europe, plutôt que dans une vision passéiste et néfaste de petit pays enfoncé au sein des montagnes. 

Je voterai donc oui à cet Arrêté.