Lettre ouverte à Anne Emery-Torracinta

Madame la Conseillère d'Etat,

Je ressens le besoin de vous écrire cette lettre ouverte en raison de qui vous êtes et de la charge que vous allez prendre à la tête de l'Instruction publique. Mais d'abord permettez-moi de vous féliciter de votre élection. J'ai voté compact PLR, par cohérence et fidélité, mais je pensais qu'une présence socialiste était nécessaire et j'espérais que ce fût vous. Peut être ma sympathie doit-elle quelque chose à celle que je porte à votre père Claude Torracinta, une grande figure du journalisme romand. J'ai toujours admiré son professionnalisme, sa culture, sa rigueur et son honnêteté intellectuelle. Je ne vous connais guère mais j'ai l'impression que le fruit n'est pas tombé loin de l'arbre.

Trêve de compliments. Vous allez quitter votre poste d'enseignante, et d'enseignante d'histoire plus particulièrement si j'ai bien compris. C'est pourquoi je vous écris ces lignes. Les circonstances de la vie m'ont amené à enseigner l'histoire, et plus précisément l'histoire suisse dans une école privée, en complément à mes activités journalistiques et politiques. Je le fais encore et je m'attache à transmettre des connaissances sur notre pays, à faire comprendre son évolution qui éclaire sa nature et la manière dont il peut vivre en Europe et dans ce monde. Je crois vraiment que nos citoyens et nos habitants sauront mieux se comporter collectivement et individuellement s'ils bénéficient, au terme de leur parcours scolaire, d'une certaine profondeur de vue sur la Suisse. Cela suppose qu'ils en connaissent la trame historique, au moins dans ses grandes lignes et autour de quelques grands points de repère. Il en va en partie d'une question d'identité, mais aussi d'une capacité de réflexion et de conscience politique nourrie d'une culture nécessaire. Il n'en va pas du tout d'un nationalisme étroit, encore moins d'un parfum discriminatoire au détriment d'élèves d'origine non helvétique. Mais lorsque l'on vit dans un pays, dans un canton comme les nôtres, on se doit d'en connaître les fondements.

Or, madame la Conseillère d'Etat, je ne vous apprendrai rien en vous disant que l'école publique genevoise est loin du compte dans ce domaine. Ne parlons pas des discontinuités dans l'enseignement d'histoire générale qui voit des élèves aborder cinq fois la Révolution française et pas grand-chose d'autre. J'ai des exemples. En histoire suisse, il arrive que l'on aborde le Rapport Bergier et ses critiques sur la Suisse durant la deuxième guerre mondiale. En soi c'est salutaire mais c'est évidemment partiel et insuffisant. Sur l'histoire suisse en général, dans son contexte européen ? Si peu ! J'exagère me direz-vous. Peut être un peu. Un peu seulement.

Madame la Conseillère d'Etat, vous êtes la mieux placée pour observer ces carences et pour vous efforcer d'y remédier. Je pense bien que la solution n'est pas d'agir de manière autoritaire, brutale vis-à-vis de professeurs revendiquant leur liberté. Il faudrait donc de la concertation et du temps. Toutefois, n'est-il pas possible d'imprimer un mouvement vers un contenu défini, une continuité dans l'abord des chapitres, une harmonisation suffisante au sein de l'école genevoise quant aux programmes d'histoire, particulièrement d'histoire suisse ? N'est-il pas possible de rendre cela visible afin que ces balises deviennent peu à peu évidentes. Madame la Conseillère d'Etat, je fonde des espoirs sur vous à ce sujet. Ai-je tort ?