L’Initiative 1:12: éviter l’autogoal

Il arrive que dans une partie de football un défenseur se prenne la tête dans les mains ; consterné d'avoir par une mauvaise idée et maladresse fait glisser le ballon contre son camp jusqu'au filet. C'est le risque qu'ont pris les auteurs de l'Initiative 1.12 qui ne veut pas qu'un salaire d'un dirigeant d'entreprise soit plus que 12 fois plus élevé que le salaire le moins élevé. Pourtant le sentiment qui se cache derrière cet Initiative est compréhensible. Notre ministre de l'économie, le Conseiller fédéral Schneider Amann en convient, d'ailleurs, lui qui, il y a dix ans en tant que Chef d'entreprise et Président de l'Association de l'Industrie des machines mettait en garde contre les abus de rémunérations, provocateurs, indécents et susceptibles d'entrainer un jour une réaction visant à un contrôle étatique. Eh bien nous y sommes.

Dans la Suisse de l'Ancien régime les Gouvernements patriciens de Berne, Zurich et Bâle interdisaient aux privilégiés d'afficher un luxe ostentatoire de nature à provoquer l'envie et l'irritation, propres à perturber un ordre social généralement admis. C'était d'ailleurs l'époque où les élites, peu enclines à une perspective de démocratie, estimaient de leur devoir de montrer un exemple de vertu et de mesure. On ne devrait pas trop en rire car cela n'avait pas que des côtés négatifs. De même peut-on regretter que la démocratie et la liberté économique aient perdu certains repères et certaines mesures. Cela étant il faut être clair : cette Initiative est mauvaise par essence et offre des suites éventuelles dangereuses.

Mauvaise car il n'appartient pas à l'Etat de régler l'échelle des salaires dans l'économie privée. La question du salaire minimum peut se poser, bien qu'une telle norme ait elle aussi des effets négatifs. On l'a souvent dit, le recrutement de hauts cadres pour des entreprises suisses ne peut échapper au marché de travail à ce niveau qui dépasse nos frontières ; sauf à nous priver de personnes dont on a besoin. Certes, il y a l'indécence dont on semble un peu se rendre compte puisque les rémunérations des grands managers seraient, parait-il, à la baisse. Il est vrai que l'on n'avait pas vu arriver le succès de l'Initiative Minder. Mais il s'agissait là de mettre les grandes rémunérations sous le contrôle de l'Assemblée des actionnaires. Il n'y avait pas irruption et corsetage de l'Etat. Bref, avec la réussite de cette Initiative la Suisse tournerait en partie le dos à ce principe de liberté de l'Economie privée qui a tellement profité à l'ensemble de la population. Comparons nos structures et nos pratiques à celles de la France et comparons aussi les deux situations économiques et sociales.

Et il y aurait très vite d'autres conséquences. Les Cantons et la Confédération perdraient des impôts. La Confédération perdrait des ressources pour l'AVS. Ces pertes probables ont été évaluées et sont importantes. Indirectement un affaiblissement économique et du chômage seraient à craindre.

Alors quoi ! Notre pratique des négociations entre partenaires sociaux, lesquelles imprègnent particulièrement les grandes entreprises, n'ont –elles pas démontré leur efficacité ? Pourquoi nous éloigner de cette voie si helvétique ? Une réflexion quelque peu pointue ne peut qu'amener au rejet de cette Initiative.

Elle fait appel à l'émotion, c'est-à-dire à une irritation devant des rémunérations ressenties comme indécentes. Il y a évidemment une connotation d'envie chez certains, peut être de jalousie envers tel ou tel dont les médias font étalage. Or, ces sentiments, encore une fois pour compréhensibles qu'ils soient, ne font pas de bonne politique. On veut croire à un retour progressif des bases éthiques et des repères, à un meilleur sens de la mesure parmi les cercles de la libre économie ; cela aussi en prise de conscience du sentiment populaire. En revanche, blâmer ne veut pas dire dériver. Cette Initiative éloignerait peut être quelques privilégiés au scintillement d'argent indécent mais elle nuirait surtout au plus grand nombre des non privilégiés. Il faut résister à ses humeurs et voter lucidement non.