A propos des prochaines votations, fleurissent sur les panneaux disposés à cet effet les affiches des différents partis genevois avec leurs recommandations de vote. Celle du Parti dit communiste, qui se veut plus à gauche que le Parti du travail, fait tomber l'argent des poches d'un bourgeois plus ou moins pendu à l'envers. Le message est clair : il n'y a qu'à prendre l'argent chez ceux qui en ont et tous les problèmes financiers seront résolus. C'est d'une bêtise affligeante mais aussi d'une agressivité, d'une violence inquiétante. C'est un slogan illustratif d'une vision de lutte des classes. On s'étonne que les médias ne s'en étonnent pas ; tant cela détonne par rapport à une certaine culture helvétique.
Ce vent là n'est pas général mais il existe. On l'a constaté en France au fil des manifestations de gilets jaunes, avec leurs dérives violentes. Il y a, en plus de revendications des moins argentés, un parfum lourd de haine des riches. Pour déboucher sur quoi de bénéfique ? Lorsqu'un malaise social se transforme en éruption, il est beaucoup question d'inégalité et, donc, d'une exigence d'égalité. Or, s'il est un mot trompeur, porteur d'illusions, c'est bien celui-là. Le projet de société absolument égalitaire, après élimination des capitalistes et bourgeois, a débouché, par exemple, sur le stalinisme, le maoïsme avec les années de terreur qui en ont été la marque de fabrique.
En fait, une société, pour tenir debout, doit se référer au critère de l'équité, voulue et ressentie. C'est toute autre chose qu'une égalité imposée ; d'ailleurs toujours gérée par une nomenclatura privilégiée et implacable. L'équité, c'est d'attendre de chacun , dans un cadre d'une liberté notamment économique, une contribution visible au bien commun. Autrement dit, le bénéficiaire d'un capital et d'un haut revenu doit évidemment s'acquitter d'impôts en proportion, en tant que contribution à la communauté solidaire ; ce qui implique que le prélèvement ne soit pas démesuré. Le capital et les bénéfices des entreprises florissantes répondent aux mêmes obligations morales et légales. Toutefois, l'essentiel est leur apport au dynamisme économique offrant les conditions d'un niveau de vie convenable pour le plus grand nombre ; ce qui implique qu'elles ne soient pas trop chargées. Qu'il y ait des riches, des pas très riches et des pas riches du tout n'est pas un défaut, si le tout s'inscrit dans un équilibre équitable et produit une efficacité générale où chacun finit par trouver son compte.
En France, des gens se plaignent à juste titre de leur faible niveau de vie. Il ne voient pas que cette situation ne résulte pas d'un accaparement des biens par quelques riches. Cela vient de multiples facteurs, dont l'excès de charges et contraintes en tous genres qui plombent l'activité économique, notamment des petites et moyennes entreprises. Ce n'est pas un hasard si l'économie suisse va mieux et si le niveau de vie est généralement supérieur.
Mais n'ayons pas une approche unilatérale. Il est vrai que la cohésion sociale, le sentiment d'appartenir à la même communauté de destin dépendent aussi de l'image qui est donnée. Lorsque le PDG de Danone renonce au montant faramineux de la retraite qui lui est promis, il fait preuve d'éthique mais surtout de lucidité et de sensibilité. Il sent que l'étalage d'un tel avantage peut susciter de l'incompréhension, voire de la colère. Il y a donc bien, à côté du critère de l'équité, celui de la sensibilité et donc de la mesure. Cela appartient aux racines philosophiques du libéralisme. D'ailleurs Calvin, dans une conception spirituelle, assignait à la richesse, au capital l'obligation morale de s'investir dans des opérations ayant un sens et une utilité pour la communauté. On voit, notamment à propos du climat, des investissements capitalistes qui recherchent un tel sens. Sans aucun doute, s'ils ont une réflexion sur le long terme et une sensibilité au monde qui les entoure, les chefs d'entreprise, les détenteurs de gros capitaux devraient tirer une meilleure prise de conscience des conditions d'équilibre sociétal, à l'échelon national comme à l'échelon mondial.
Lorsque l'on a ainsi admis cette responsabilité, on est d'autant plus à l'aise pour dénoncer les relents inquiétants de lutte des classes que l'on perçoit ici et là. En Suisse, nous avons relativement bien préservé cette cohésion sociétale trempée dans une culture politique recherchant le consensus, avec la soupape de la démocratie directe. On aimerait que la haine stérile et destructrice des riches , —ou imaginés tels—, ne puisse s'y infiltrer. On aimerait que des affiches, comme celle du Parti communiste genevois, soient ressenties comme étant aussi choquantes que stupides. La lutte des classes : il n'y a que des aveugles haineux pour la souhaiter.