Place financière française et Brexit: l’attractivité ne se décrète pas !

Edouard Cuendet

Depuis le vote historique des Britanniques en faveur de la sortie de leur pays de l'UE, les médias suisses et étrangers débattent de l'avenir de la place financière anglaise.

Chacun veut tirer son épingle du jeu et profiter du séisme qui secoue la City.

La France est rapidement sortie du bois et a fait état de ses ambitions. Une revue de presse, forcément partielle, permet de suivre les premiers épisodes d'une saga qui va durer encore des mois, voire des années, jusqu'à ce que le sort des relations anglo-européennes soit scellé.

Dans une interview accordée au journal « Les Echos » du 27 juin, Gérard Mestrallet, président de Paris Europlace, n'y va pas par quatre chemins : « Désormais, le Royaume-Uni va être en dehors de l'Europe. Il n'y a plus aucune raison que le pays continue à bénéficier du passeport européen ». Et il conclut son intervention par un appel solennel : « Nous devons nous mobiliser pour faire de Paris la capitale du financement de la zone euro. Si nous ne profitons pas de cette chance, d'autres pays européens le feront ».

Des incantations ne suffiront toutefois pas à provoquer un exode des financiers des bords de la Tamise vers les rives de la Seine.

Le « Financial Times », organe officiel de la « City », monte au front pour défendre son pré-carré. Dans son édition du 2 juillet, le grand quotidien économique relève que la France connaît un environnement politique et fiscal incertain. Mais c'est surtout le coût du travail dans l'Hexagone qui est mis en avant : un salaire annuel de 300'000 euros payé au Royaume-Uni revient à 352'740 euros à la banque employeuse, charges sociales comprises. En France le même salaire annuel de 300'000 euros coûte 471'799 euros à l'employeur en tenant compte des ponctions sociales.

La presse française n'est pas tendre non plus avec la situation qui prévaut à Paris. « Le Figaro » du 2 juillet qualifie le Président Hollande d' « ennemi de la finance de 2012 » en faisant allusion aux déclarations suivantes faites lors d'un meeting au Bourget : « mon véritable adversaire, c'est le monde de la finance ».

Ce même « Figaro » ajoute que la France s'est fermement engagée en faveur de la Taxe sur les transactions financières (TTF), sorte d'avatar de la célèbre Taxe Tobin, à laquelle Londres s'est toujours vertement opposée. Dans le journal « Les Echos » du 29 juin, le Président Hollande a relevé que « certains nous disaient que, si on introduisait cette taxe, les activités allaient partir à Londres, et l'argument ne tient plus ». Le « Figaro » souligne à cet égard, que l'argument ne vaut peut-être plus pour le Royaume-Uni, mais que le Luxembourg et l'Irlande n'ont jamais accepté cette TTF et que tant Dublin que Luxembourg «deux places financières de la zone euro, sont en lice pour récupérer la City».

Du côté des économistes, on peut citer un article du Prof. Charles Wyplosz, de l'IHEID à Genève paru dans « Le Figaro » le 20 juin 2016, peu avant le vote crucial : « le plus banal, ou presque, c'est qu'on aime la finance à Londres. A Paris, ce n'est ni le cas du Président actuel, on l'a entendu désigner son ennemi, ni celui de son prédécesseur qui a vu dans la crise de 2008 la fin du capitalisme financier. Chirac, lui, a voulu imposer une taxe sur les transactions financières. Quant à Mitterrand, dès son arrivée à l'Elysée, il a nationalisé les banques. C'est peu de dire que les financiers ne sont pas attirés par Paris ».

L'éventuel transfert d'activités bancaires et financières suite au Brexit dépendra donc de multiples facteurs, aussi bien objectifs (réglementation, fiscalité, coût du travail, sécurité, qualité des infrastructures, etc.) que subjectifs (positionnement du monde politique et médiatique face à la finance, perception de ce secteur par la population, qualité de la vie, etc.). Mais dans cette subtile équation, la capacité de résistance de la City londonienne ne saurait être sous-estimée.

Article paru sur le blog d'Edouard Cuendet de la Tribune de Genève, le 6 juillet 2016