Une neutralité à jour

Le 1er Août fut l’occasion de maints discours évoquant souvent la Neutralité Retenons celui de la Conseillère nationale UDC Céline Amaudruz et, bien sûr, l’annonce par Christoph Blocher d’une Initiative populaire inscrivant dans la Constitution le principe d’une Neutralité intégrale, excluant toute interprétation et adaptation. . Mise en cause, évidemment, la position suisse face à la guerre en Ukraine; soit un alignement dénoncé sur l’Union européenne et sur les États Unis pour imposer des sanctions à la Russie. Aux yeux de l’UDC, nous aurions ainsi  perdu de la crédibilité internationale, des possibilités de jouer un rôle conciliateur, bref, notre précieuse singularité. De plus, nous aurions fragilisé notre politique de sécurité, car des belligérants à nos portes n’auraient plus de raison de nous épargner en nous considérant comme un cas particulier. Enfin, en affaiblissant notre position de neutralité, nous affaiblirions  un facteur clé de notre cohésion intérieure, car notre identité est branchée sur ce repère qui résonnerait comme un hymne national. 

Or, tout cela relève d’une simplification de l’histoire et de la réalité comme j’ai tenté, en certaines occasions, de le dire et à Christoph Blocher et à Céline Amaudruz. Toute l’histoire de la Suisse a connu des efforts pour trouver une ligne d’équilibre entre des liens incontournables avec nos voisins et une position singulière en contre point. Cela a varié au cours du temps. Il y a eu des réussites et des ratés. Oui, après Marignan, en 1515, et même avant avec Nicolas de Flüe, l’idée s’est imposée à aux Confédérés que, pour garder leur unité malgré leurs querelles, il fallait s’abstenir de prendre part directement aux conflits européens. Oui, dès 1815, une Neutralité , voulue d’ailleurs, par les grandes puissances européennes sortant de leurs guerres,  a été la colonne vertébrale de notre politique de sécurité. Mais rappelons nous qu’après la première guerre mondiale, et dans l’espoir d’une sécurité collective avec la SDN, la Suisse, membre d’ailleurs, a affirmé une Neutralité dite différenciée . En clair, si un pays transgressait les règles de l’ordre international, la Suisse pouvait partager les sanctions économiques; mais sans aller jusqu’à partager les sanctions, les réactions militaires. Nous y sommes.  Certes, la faillite de la Société des nations ,—-qui a quand même fait de Genève le grand pôle diplomatique qu’elle est devenue,—-et la deuxième guerre mondiale nous ont fait retourner à une Neutralité intégrale. Mais il s’agissait d’une sécurité au milieu de voisins directs qui s’écharpaient. 

Or, depuis et progressivement, le contexte a évolué, et donc la politique de neutralité a dû également évoluer. On n’est plus ni en 1815 ni en 1940; encore moins en 1291 ni en 1315. Cela ne veut pas dire que des valeurs patriotiques fondamentales soient démodées et que le message de liberté d’indépendance et de solidarité ne soit plus d’actualité. Simplement, il faut le remettre dans le cadre général qui nous implique. Il y a l’Union européenne qui existe et avec laquelle nous devons exister. Il y a un ensemble de pays démocratiques dont nous faisons partie. Il y a un ordre international à défendre, qui amène à dénoncer les agressions commises  par des pays aux régimes autocratiques. Oh, bien sûr, il n’y a pas les blanches colombes contre les faucons sataniques. Les États Unis, par exemple, ce n’est pas la République des anges. La politique réaliste comporte des défenses parfois dures de positions économiques et géostratégiques. Mais quand même, il y a des limites et des repères. Aujourd’hui, notre parenté européenne, occidentale, démocratique et juridique nous commandait de partager la d’énonciations de l’agression russe contre l’Ukraine; quels que fussent certains éléments qui ont contribué à cette guerre. Nous les avons plusieurs fois évoqués. 

 

 

Autrement dit, la situation nous conduisait naturellement à cette Neutralité différenciée, ou active; et donc à partager les sanctions économiques. La majorité du peuple l’attendait. Nous savons que cela aura pour la Suisse aussi des contre coups défavorables. Encore une fois, la politique de Neutralité est ce que nous voulons qu’elle soit; à la fois dans notre intérêt et en regard de valeurs communes que nous partageons. Et ce n’est pas la première fois que nous actualisons cette pierre angulaire de notre politique de sécurité. Car c’est de cela dont il s’agit; et non d’un dogme. Il est évident que ce n’est pas si facile, que cela peut comporter certains risques. Mais si la Suisse maitrise ce moment, sa Neutralité adaptée et connectée aux réalités du temps demeurera essentielle. Une boussole sur un mer agitée et non un cadenas nous immobilisant à un amarrage de fer.

Jacques-Simon Eggly