Le ping-pong trompeur de Poutine

La conférence de presse donnée par Vladimir Poutine juste après sa rencontre avec Joe Biden,  donna toute la mesure de son habileté. A chaque question posée sur la violation des droits de l’homme, la répression contre des opposants et des organisations critiques dans son pays, le Président répondait en pointant du doigt les violences policières aux Etats- Unis,  l’assaut contre le Capitole et les sanctions en suivant ( pas de ça chez nous..), le fait que bien davantage de cyber attaques viendraient du sol américain, que ce sont les États Unis qui ont qualifié la Russie d’ennemi et pas le contraire, que ce sont eux qui soutiennent des organisations en Russie contestant les lois etc... 

Oui habile, et de nature à ébranler sinon convaincre des esprits occidentaux. Et si la Russie n’était pas le pays méchant par définition! Et si les états Unis, voire les autres pays occidentaux n’avaient pas bien des choses à se reprocher ! Ne devraient-ils pas s’abstenir de se draper dans le manteau de la vertu et de faire la leçon à Moscou?

Ici, comme souvent, l’observateur doit remettre les choses sur leur vraie assise et ne pas se faire manipuler. Encore faut-il posséder une vraie colonne vertébrale et avoir les idées claires. Une des valeurs, en démocratie, est une possibilité et une capacité d’exercer une réflexion critique. Non, tout n’est pas, aux États Unis et ailleurs, sans ombres, bavures, injustices , discriminations, détresses sociales et on en passe. Cela fait l’objet de débats, quelquefois de corrections ou d’améliorations. Tant que le chemin n’est pas celui de la violence, la liberté d’expression, de manifestation est garantie. Aucun opposant n’est marginalisé, entravé dans son existence pourvu qu’il respecte le cadre légal établi démocratiquement. La Défense de ce cadre est  aussi La Défense des libertés fondamentales. 

Il n’y a donc pas d’équivalence avec les critères moscovites, n’en déplaise au champion du ping-pong qu’est le président Poutine. En Russie, des opposants non-violents sont emprisonnés, des journalistes sont victimes d’étranges accidents, des organisations, des journaux sont neutralisés. Les éléments formels de démocratie sont largement sous contrôle du pouvoir. L’expression critique est surveillée, au besoin neutralisée. On ne voit pas comment se feraient rapidement  jour des corrections, des améliorations. Non, le renvoi de balle du Président Poutine ne convaincra que les spectateurs et auditeurs malléables peu capables de mettre les choses à leur place et en perspective. Il est droit dans ses bottes, cet ancien responsable du KGB. Un vrai démocrate l’est aussi. 

En revanche, on peut s’interroger sur l’attitude des pays occidentaux depuis l’éclatement de l’URSS et l’effondrement du régime communiste. On peut être de ceux qui pensent qu’il y a eu erreur d’analyse et d’action. N’aurait-il pas fallu mieux tendre la main à cette Russie émergente ? Ne peut-on pas comprendre un sentiment russe d’être menacé par une alliance de l’OTAN à dominante américaine, qui a placé des pions aux frontières même de la Russie, en Ukraine, en Géorgie, ailleurs. Lors d’un voyage politique et de rencontres en Russie, juste avant l’ère Poutine, nous avions ressenti que beaucoup d’interlocuteurs éprouvaient le sentiment d’être dans le viseur de l’OTAN et d’être d’éternels suspects rejetés par l’Europe. Un de Gaulle avait dit qu’il fallait éviter ce piège en évoquant une Europe de l’Atlantique à l’Oural. Il pensait aussi que les pays européens, —qui ne comprenaient pas encore les  satellites de l’URSS aujourd’hui membres de l’UE—, devaient avoir des liens directs avec la Russie, indépendamment des États Unis. 
Comment oublier également la participation culturelle russe essentielle au patrimoine européen? Et mondial. Qui de plus grand que Tolstoi, Dostoïevski, Tchaikovski...Il faut aussi admettre que la Russie n’a pas de passé démocratique. A son égard, il faut être ferme sur la question des droits de l’homme, oui. Mais il convient  d’être un peu réaliste sur le fonctionnement démocratique possible. 

En conclusion, dire au Président Poutine: ne cherchez pas à nous faire prendre des vessies pour des lanternes, nous ne sommes pas manipulables. Mais nous n’oublions pas que la Russie est notre grande cousine dans notre grande famille européenne.

Jacques-Simon Eggly