L’Afghanistan insaisissable

Évidemment, devant les événements, c’est la stupéfaction, la consternation et la grande inquiétude qui vous submergent. Les commentateurs l’ont dit: que vont devenir les femmes et les jeunes filles afghanes? L’obscurantisme et la répression, se réclamant hélas de la religion, vont-ils tuer toute liberté individuelle, toute affirmation personnelle, toute vie civile un peu élaborée? 

Et puis, bien sûr, on a peine à y croire: vingt ans d’efforts occidentaux, particulièrement américains, des morts pour rien, des sommes gigantesques dépensées en pure perte! Les experts américains ont cru que les autorités qu’ils soutenaient, les soldats afghans qu’ils armaient tiendraient les Talibans à distance. Or, dès le début du mouvement de retrait des troupes d’intervention, tout à montré très vite la faiblesse de ces autorités et d’une armée portée a bout de bras. La lenteur administrative de Washington, dès la débâclé imminente, va probablement coûter très cher aux Afghans trop compromis aux yeux des vainqueurs et qui n’auront pas eu le temps d’être évacués.

Bon, tout cela a été dit. Mais si on essayait aussi un regard en longue vue. Parfois, on se demande si les service de renseignement sophistiqués ont suffisamment de connaissances historiques. Ils auraient compris et admis que l’Afghanistan est un pays insaisissable. Au dix-neuvième siècle, l’Angleterre impériale s’y est cassée les dents. La Russie, alors soviétique, s’y est embourbée, déjà notamment contre des Talibans soutenus par les USA (quelle ironie). Et maintenant voilà! 

Oh, remettons-nous dans le contexte d’il y a vingt ans. L’Afghanistan était le refuge d’Al-qu’aida  et de Ben-Laden. Ce fut le terrible attentat des tours à New-york. Il fallait riposter à fond; éliminer les branches de la pieuvre ignoble. L’Occident était en guerre contre le terrorisme. Il fallait faire comprendre aux talibans que tout appui aux terroristes ne pouvait qu’enclencher  une riposte avec tous les moyens à disposition. On peut penser que ce but, —au moins pour une période,—a été en partie atteint.  Au delà de la débâcle d’aujourd’hui, , les Occidentaux, Américains en tête, devront êre clairs. Tour indice d’abri pour des terroristes enclenchera une riposte fulgurante. Cela, l’OTAN en a les moyens. Et la Russie n’a pas d’intérêt à soutenir un régime qui abriterait des terroristes fanatiques. Après tout, elle l’a montré en Syrie contre l’autoproclamé État islamique. 

En revanche, vouloir transformer en profondeur le fonctionnement de ce pays était une erreur et n’était pas la bonne assurance tous risques. Il faut que l’Occident renonce à imposer par la force ses valeurs! Certes, durant  vingt ans, des progrès timides ont eu lieu pour les femmes, la vie civile , dans le domaine de la santé, de l’éducation. Mais croit-on que les Talibans n’ont eu que leurs armes pour reprendre du poil de la bête? Dans les montagnes, au fond des vallées, et même dans des villes, ils ont pu  s’appuyer sur des traditions, des habitudes ultra conservatrices, s’inspirant d’une interprétation du Coran tournant le dos à toute modernité. Ajoutons à cela les corruptions et les incompétences au sein de l’administration officielle en place, le manque de convictions profondes chez les gouvernants, vus par beaucoup comme des valets de l’étranger, et l’on  comprendra mieux les événements. 

Certes, il n’est pas question pour nous de relativiser certaines valeurs qui devraient être universelles concernant  les droits humains. On peut les proclamer, exercer dans les limites du possible des pressions politiques, essayer d’aider les personnes qui, à leurs risques,  les défendent, espérer que , peu à peu, malgré à tout, des évolutions aient lieu dans des pays comme l’Afghanistan. Et puis, nos pays vont être confrontés à un nouveau flux de réfugiés; ce qui, n’en déplaise à certains, pose de vrais problèmes d’intégration. Mais ayons la lucidité de l’acceptation du temps long et des différences inhérentes à l’histoire. Nous ne pouvons façonner des pays comme l’Afghanistan à notre image; des pays qui viennent d’ailleurs et sont ailleurs. L’Afghanistan insaisissable donne une leçon difficile, douloureuse de réalisme , voire de modestie historique.

Jacques-Simon Eggly