Successions: une valeur non fiscale

La Gauche pare de vertus son Initiative visant à introduire obligatoirement dans tous les cantons un impôt sur les successions, que les héritiers soient en ligne directe ou non. Certes, l'Initiative laisse une marge de manoeuvre au Parlement pour la loi d'application. Certes elle prévoit des conditions d'exemption et d'atténuation. Il n'empêche que cette Initiative entrainerait des effets financiers et économiques négatifs. En outre, sa référence morale est tout à fait discutable.

Les défauts. Une rétroactivité inacceptable. Alors que l'article constitutionnel entrerait en vigueur en 2017, les successions advenues dès 2012 seraient touchées. C'est à se demander si le Parlement n'aurait pas dû invalider cette Initiative pour ce motif déjà. Deuxième défaut majeur : l'atteinte à la souveraineté des cantons. Ceux-ci la voient progressivement diminuer sous le coup des injonctions fédérales. Or, en politique tout passe par la fiscalité. A chaque canton de trouver un équilibre. A chacun d'évaluer comment retenir les grosses fortunes générant de gros revenus, le tout amenant des suites économiques et des recettes essentielles. Ce n'est pas un hasard si presque tous les cantons ont supprimé cet impôt pour les successions entre conjoints et en ligne directe. 

Et puis il y a les entreprises. Certes, l'Initiative prévoit des réductions mais à condition que le patron héritier soit obligé de poursuivre l'exploitation durant dix ans au moins. Exigence bureaucratique faisant fi des aléas de la conjoncture et qui provoquerait un contrôle administratif lourd, compliqué. 

Allons, c'est assez dire qu'il faut rejeter ce projet. Toutefois, relevons le défi de l'argumentation sur le volet moral. Qu'un héritier touche de ses parents défunts une fortune, une entreprise qu'il n'a pas acquise, développée lui-même : voilà qui serait choquant, injuste. Que l'Etat prélève au moins sa bonne part ne serait que justice. Ce genre d'arguments a cours aux Etats Unis, par exemple. Chacun a sa chance, chacun doit faire ses preuves, il y a course effrénée entre les meilleurs performeurs. Et que les jeunes repartent de zéro le mors aux dents. Eh bien une argumentation contraire est parfaitement défendable. La succession marque une continuité familiale, une transmission tranquille d'un patrimoine mais aussi de valeurs, Bien sûr, il y a des fils à papa, des enfants gâtés qui choquent. Mais dans la plupart des cas de figure, il y a un désir des parents de transmettre le fruit de leur travail, de leurs investissements et une conscience des enfants qu'il y a dans ce passage de témoin une charge affective et un mandat de responsabilité. La Suisse est forte de sa forte classe moyenne. Et dans cette frange là, le désir de continuité familiale est grand. Or, cette continuité est un pivot de notre société. Finalement, l'attitude des héritiers témoigne de leur position dans la vie, vis à vis d'eux mêmes, de leurs proches et de la société. C'est leur histoire. Que l'Etat ne vienne pas jouer au percepteur pour raisons morales. Le message ne passe pas. Les successions : une valeur stabilisatrice qui n'est pas d'ordre fiscal.