Protéger adéquatement la biodiversité en Suisse comme dans le monde nécessite de trouver ce délicat compromis entre utilisation et protection des terres. Cette initiative propose de limiter de manière inflexible l’utilisation de notre territoire. Simone de Montmollin, Conseillère nationale, nous explique les raisons pour lesquelles un non s’impose.
LA PROTECTION DE NOTRE BIODIVERSITÉ : UNE PRIORITÉ
Qui peut être opposé à la protection de notre biodiversité ? Personne. Pas vous, pas moi, et pas non plus le Conseil fédéral ni le Parlement. Elle est l’essence de la vie sur Terre. Et le constat est alarmant, les scientifiques parlent de la 6e extinction. Au niveau mondial, un million d’espèces seraient menacées sur les 8 millions recensés. La Convention sur la diversité biologique (CDB) adoptée en 1992 au Sommet de la Terre de Rio veut combattre ce recul. La Suisse l’a ratifiée en 1994. Un Pacte mondial s’appuie sur le ODD15 pour fixer des objectifs 2030 en faveur de la biodiversité. La nécessité d’agir n’est pas contestée en Suisse non plus. Alors pourquoi s’opposer à l’initiative « Pour l’avenir de notre nature et du paysage », présentée comme une initiative « pour la biodiversité » ?
UN TEXTE QUI FIGERAIT LE TERRITOIRE SUISSE
Protéger adéquatement la biodiversité en Suisse comme dans le monde nécessite de trouver ce délicat compromis entre utilisation et protection des terres. Cela requiert des mesures adaptées aux réalités de chaque territoire. Figer le territoire en Suisse, à l’instar de ce que l’initiative vise, imposerait des conséquences néfastes pour notre production indigène et donc pour les pays sur lesquels serait reporté ce que nous ne pourrons plus faire nous-mêmes, accentuant la pression sur leur biodiversité.
Cette initiative touche non seulement l’agriculture, mais également la production d’énergies renouvelables (plébiscitée en juin dernier par le peuple), le développement d’infrastructures, la production de bois, le développement du bâti ou nos activités touristiques.
La question de cette votation n’est donc pas de savoir si l’on est pour ou contre la biodiversité mais si l’on veut d’un texte qui limiterait de manière inflexible l’utilisation de notre territoire.
GARDER LE CAP ET POURSUIVRE NOS EFFORTS
Nous devons poursuivre nos efforts, intensifier les actions engagées qui portent leurs fruits pour assurer la protection de nos écosystèmes et la survie des espèces menacées. Si le recul de la biodiversité s’est surtout produit entre 1850 et la fin du XXe siècle, une amélioration est perceptible depuis le début des années 2000. La Suisse s’y engage activement depuis plus de 30 ans. Elle a adopté une législation nationale pertinente et alloue depuis 2008 des ressources annuelles de la Confédération à hauteur de 600 millions de francs, auxquelles viennent s’ajouter celles des cantons. Des soutiens aux Fonds mondiaux pour l’environnement complètent ces efforts.
S’il n’est pas ici question d’enjoliver la situation, il ne sert à rien non plus de céder à l’alarmisme. Accepter cette initiative ne permettra pas d’aller plus vite.
L’initiative qui porte mal son nom, veut exclure de la main de l’Homme une large partie du territoire (Pro Natura parle de 30 %), principalement sur le Plateau. Les initiants s’en défendent, soutiennent que la poursuite d’activités ne serait pas interdite, et qu’avec des moyens financiers supplémentaires, les cantons pourraient faire plus.
Le texte est pourtant clair : il s’agit de modifier la Constitution pour déclarer des paysages, des sites, des lieux historiques de même que des monuments naturels et culturels comme objets protégés officiels et donc pratiquement intouchables.
CONFLITS D’OBJECTIFS INSOLUBLES
Limiter l’utilisation des surfaces et du patrimoine bâti, y compris en dehors des objets protégés officiels, réserver davantage de surfaces à la biodiversité dans les terres ouvertes agricoles et financer des mesures supplémentaires à charge de la Confédération sont les conséquences directes de la mise en œuvre de cette initiative.
Cette modification constitutionnelle créerait des conflits d’objectifs insolubles, empêchant les pesées d’intérêts nécessaires aux générations futures pour développer des infrastructures importantes (telles que lignes électriques, voies de chemin de fer, énergies renouvelables, etc.) ou pour assurer notre production agricole indigène. À cet égard, une autre initiative vient d’aboutir, qui elle, veut atteindre un taux d’auto-approvisionnement alimentaire de 70 % basé sur des aliments végétaux. Alors que nous peinons à nous maintenir à 50 %, les mêmes qui aujourd’hui sont à l’origine de l’initiative sur la biodiversité restreignant l’utilisation du territoire pour l’agriculture, soutiendront probablement la suivante qui en nécessiterait significativement plus… et ce dans la plus totale contradiction.
LA BIODIVERSITÉ EST PROTÉGÉE EN SUISSE
La Suisse dispose des bases légales adéquates pour protéger notre diversité biologique. Des normes contraignantes figurent dans la Constitution, dans des lois spécifiques (lois sur la protection de la nature et du paysage, sur la protection de l’environnement, de la forêt, des eaux, etc.) et sectorielles (lois sur l’agriculture, sur l’énergie, sur l’aménagement du territoire, etc.) qui toutes convergent vers le même objectif : préserver notre environnement naturel. En 2012, elle s’est dotée d’une Stratégie suisse spécifique à la biodiversité, suivie d’un Plan d’actions en 2017 qui prévoient des objectifs et mesures pour protéger les espèces, restaurer leurs habitats naturels, et pour promouvoir l’utilisation durable des ressources. Tous les objectifs n’ont certes pas été atteints. Un deuxième plan d’action est en préparation pour la période 2025-2028.
Il faut miser sur des objectifs qualitatifs ciblés plutôt que sur des indicateurs purement quantitatifs, développer des mesures spécifiques dans les zones urbanisées et favoriser des collaborations transversales pour sensibiliser la population sur ce que chacun de nous peut faire.
Une acceptation de l’initiative n’aurait pas uniquement des impacts économiques mais renforcerait encore notre dépendance aux importations.
Il faut miser sur des objectifs qualitatifs cibles plutôt que sur des indicateurs purement quantitatifs, développer des mesures spécifiques dans les zones urbanisées et favoriser des collaborations transversales pour sensibiliser la population sur ce que chacun de nous peut faire.
DES COÛTS DISPROPORTIONNÉS
La mise en œuvre des mesures proposées par l’initiative entraînerait des coûts financiers supplémentaires pour les collectivités publiques et les acteurs économiques estimés à 400 millions de francs par an. Ces coûts sont jugés disproportionnés par rapport aux bénéfices environnementaux attendus. Les cantons possèdent des compétences et des connaissances spécifiques sur la gestion de leurs territoires. L’initiative entraverait cette gestion décentralisée efficace.
APPEL À L’ACTION RAISONNÉE
Le refus de l’initiative sur la biodiversité par le Conseil fédéral et le Parlement ne signifie aucunement un désengagement envers la protection de la nature, de la faune, de la flore et de notre environnement en général. Au contraire, il plaide pour une approche pragmatique, équilibrée et efficace, tenant compte des résultats déjà obtenus ainsi que des réalités économiques et sociales, afin de poursuivre les efforts pour préserver et restaurer notre précieuse biodiversité.
Ces efforts sont menés de concert avec les cantons et toutes les parties prenantes privées et publiques. Continuer à travailler ensemble pour protéger notre environnement de manière durable et responsable pour trouver des solutions qui concilient les besoins de la nature et ceux de notre société, c’est la voie que la Suisse doit privilégier.
Cette initiative a été refusée par le Conseil fédéral et par le Parlement (CN : 124/72/2 ; CE : 33/12/0). Les Verts et le PS l’ont acceptée, les Verts libéraux sont divisés mais l'ont acceptée en assemblée des délégués. Une large alliance s’y oppose également :
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