Référendum sur l’assistance au suicide

Par Pierre Conne, député du Grand Conseil

Le processus législatif des objets parlementaires censés apporter ce que certains ont considérés comme étant des garanties nécessaires au niveau genevois pour compléter le code pénal suisse en matière d’assistance est long : plus de sept ans... Et pour aboutir à un référendum ! Pierre Conne, député au Grand Conseil, nous résume l’historique de cette « saga » et nous explique les enjeux du référendum soumis à votation le 9 juin.


INTRODUCTION

La législation de notre pays ne condamne pas le suicide : chacun est libre de mettre fin à ses jours. Selon notre Code pénal, l’assistance au suicide ne sera pas punie pour autant qu’elle ne soit pas poussée par un mobile égoïste.

Le groupe PLR au Grand Conseil a toujours défendu la liberté ultime, pour quiconque déciderait de terminer sa vie devenue insupportable, de pouvoir demander l’aide nécessaire – le moyen le plus acceptable – afin de réaliser son auto-délivrance.

PROCESSUS LÉGISLATIF : DES PROJETS DE LOI TARABISCOTÉS

Le processus législatif des objets parlementaires censés apporter ce que certains ont considérés comme étant des garanties nécessaires au niveau genevois pour compléter le Code pénal suisse en matière d’assistance au suicide a débuté en avril 2016 et s’est achevé en septembre 2023 : plus de sept ans... et pour aboutir à un référendum !

Deux projets de loi modifiant la loi genevoise sur la santé ont été traités par le Grand Conseil au cours de cette saga : le PL 11870 (Socialiste) déposé en avril 2016 et le PL 12530 (Conseil d’État) déposé en juin 2019. Ce dernier avait pour finalité de rendre applicable le précédent : un an après son entrée en vigueur, la mise en œuvre pratique du PL 11870 s’était avérée impossible.

De surcroît, dans l’hypothèse probable de l’acceptation du référendum par le Peuple en juin prochain, le Conseil d’État devra vraisemblablement redéposer un projet de loi afin de rendre la disposition telle que maintenue par référendum applicable : le même PL que celui déposé en juin 2019...

La législation de notre pays ne condamne pas le suicide : chacun est libre de mettre fin à ses jours.

PROPOSITIONS LÉGISLATIVES

ACTE I
Premier passage en commission de la santé : un refus d’entrer en matière

Le premier mouvement a donc été donné en avril 2016 par le PL 11870 « Pour garantir le droit au suicide assisté dans les établissements médicaux privés et publics et les établissements médico-sociaux » à la suite d’une triste affaire largement médiatisée qui s’était déroulée dans le canton de Vaud : une personne se voyant empêchée de pouvoir obtenir une assistance au suicide dans son EMS avait finalement accompli son geste dans une ambulance arrêtée dans le parking dudit EMS. Cette affaire avait fait grand bruit et le Parlement vaudois avait alors adopté une loi interdisant aux EMS de s’opposer aux suicides assistés dans leurs murs. Le PL 11870 genevois a repris le texte de la loi vaudoise.

En substance, le PL 11870 dispose ceci (art. 39A) : Les établissements médicaux privés et publics (EMPP) et les établissements médico-sociaux (EMS) ne peuvent refuser la tenue d’une assistance au suicide en leur sein, demandée par un patient ou un résidant, si les conditions suivantes sont remplies : le patient ou le résidant est capable de discernement pour ce qui est de sa décision de se suicider et persiste dans sa volonté de se suicider.

Le médecin directement en charge du patient hospitalisé ou le médecin-traitant du résidant en EMS peut, en cas de doute sur les conditions énoncées ci-dessus, solliciter l’avis d’un autre médecin autorisé à pratiquer dans le canton de Genève ou, si une telle commission existe, l’avis d’une commission d’évaluation interne à l’établissement ou représentative des établissements. Les mêmes prérogatives peuvent aussi être exercées par le médecin responsable de l’établissement.

Après des travaux approfondis et notamment de nombreuses auditions indiquant que les EMS et établissements médicaux genevois n’empêchaient pas le déroulement d’assistances au suicide en leurs murs, la commission de la santé du Grand Conseil a préavisé le refus d’entrer en matière.
Finalement, en octobre 2017, une majorité de la Plénière, insatisfaite du texte de loi et des conclusions de la commission, a renvoyé ce PL en commission.

Deuxième passage en commission de la santé : pour un deuxième avis possible à domicile également

La commission a repris ses travaux en se focalisant davantage sur le respect de la volonté ultime des personnes concernées. C’est la question du consentement qui s’est trouvée au cœur des débats car non seulement un OUI est un OUI et un NON un NON mais, surtout, la personne doit pouvoir changer d’avis en tout temps, même à la dernière seconde, pour différer ou abandonner son projet de suicide.

Si ces conditions du respect de la volonté, en tout temps, sont bien cadrées par ce PL dans les Hôpitaux et les EMS avec l’article 39A qui prévoit spécifiquement qu’un deuxième avis extérieur

au processus en cours peut être sollicité, il n’en est rien pour les suicides assistés qui se déroulent à domicile. Au domicile privé, il n’existe aucune sécurité quant aux risques qu’une personne soit sous influence et accepte malgré elle, ou par faiblesse d’esprit – remettant en question sa capacité de discernement – d’aller au bout du programme de fin de vie.

La commission de la santé a été alertée, lors de l’audition d’une personne de référence en la matière, sur le fait « qu’il y avait beaucoup plus de soucis à avoir sur le déroulement des suicides assistés aux domiciles privés que dans les établissements médicaux ou médico-sociaux ; certains bénévoles d’association pratiquant l’accompagnement au suicide ne savent pas ce que signifie capacité de discernement ». La cause principale était attribuée à la qualité et au niveau de formation et d’expertise des bénévoles d’assistance au suicide.

Dès lors, la commission a, d’une part, accepté l’article 39A telle qu’il figurait déjà dans le PL initial mais, d’autre part, ajouté une nouvelle disposition (art. 12A) donnant la possibilité de recourir à une commission de surveillance, notamment pour les situations douteuses se déroulant à domicile.

La Commission de surveillance en matière d’assistance au suicide peut être saisie par toute personne qui, connaissant l’existence d’un projet d’assistance au suicide, aurait des raisons sérieuses de penser que la personne suicidante est sous influence ou incapable de discernement et n’est donc pas libre d’exprimer ses doutes, cas échéant de changer son projet de suicide.

Ainsi, le PL a été considéré équilibré et acceptable par une majorité de la commission de la santé qui a recommandé son acceptation.

Le Grand Conseil a finalement a adopté le PL 11870 B, avec les articles 39A et 12A, le 24 mai 2018, et la L 11870 transmise au Conseil d’État le 25 mai 2018.

Le PLR Genève a quant à lui finalement décidé de soutenir le référendum, non pas sur le fond, la loi actuelle étant inadaptée comme expliqué ci-dessus, mais sur la forme, ne souhaitant pas prendre une position qui pourrait être perçue comme étant contre le droit au suicide.

ACTE II

En juin 2019, soit un an après l’entrée en vigueur de la loi 11870, le Conseil d’État dépose le PL 12530 qui abroge l’article 12A Commission de surveillance en matière d’assistance au suicide.

Les arguments présentés concluent que cet article 12A pose un réel problème d'applicabilité.

Premier passage en commission de la santé : amender l’article 12A plutôt que de l’abroger

Une minorité de la commission, composée d’Ensemble à Gauche et du PLR, a souhaité conserver le principe général d’une instance de recours pour un deuxième avis en matière d’assistance au suicide, à l’instar de ce qui est dit dans l’art 39A pour les hôpitaux et les EMS. Le but est toujours le même : offrir la même garantie de respect de leur volonté pour toutes les personnes accomplissant un suicide assisté, où qu’elle se trouvent, à l’hôpital, en EMS et chez elles.

Certaines voix soutenaient que le Ministère Public, garant du respect du Code pénal, était un garde-fou suffisant. C’est méconnaitre le rôle du Ministère Public dont le rôle est de punir un délit ou un crime mais non de se substituer à des professionnels de la santé pour statuer sur la capacité de discernement ou l’état de santé d’une personne souhaitant abréger ses souffrances. Le Ministère Public n’est pas là non plus pour s’intéresser au réseau relationnel d’une personne afin de s’assurer qu'elle n’est pas sous influence.

De plus, cette minorité voulait aussi renforcer la qualité et le niveau de formation des bénévoles intervenant dans le processus de fin de vie lors d’un suicide assisté.

L’amendement suivant a été déposé dans un rapport de minorité qui s’insère au niveau de l’art39A et introduit deux sections : l’Assistance au suicide à domicile, nouvelle, suivi de l’Assistance au suicide en EMPP et EMS qui existe déjà. Ce qui donne :

l’Assistance au suicide à domicile, nouvelle, suivi de l’Assistance au suicide en EMPP et EMS qui existe déjà. Ce qui donne :

Article 39A Assistance au suicide

Assistance au suicide à domicile

  • Le suicide assisté est autorisé pour autant qu’il ne contrevienne pas à l’article 115 du code pénal.
  • Un second avis médical peut être requis par toute personne qui, connaissant l’existence d’un projet d’assistance au suicide, aurait des raisons sérieuses de penser que la personne suicidante est sous influence ou incapable de discernement et n’est donc pas libre d’exprimer ses doutes, cas échéant de changer son projet de suicide. Le Département tient à disposition une liste des médecins ou organismes propres à délivrer un tel avis.
  • Les bénévoles intervenant dans le processus de fin de vie lors d’un suicide assisté sont au bénéfice d’une formation ad hoc certifiante.

Assistance au suicide en EMPP et EMS

...

Le 25 février 2022, à l’issue d’un débat houleux en Plénière provoqué notamment par le fait que la majorité ne voulait rien savoir de cet amendement, le projet est renvoyé à la commission de la santé.

Deuxième passage en commission de la santé : arrêtons de tenter de légiférer là où c’est inutile et impossible !

Près de sept ans se sont écoulés depuis le dépôt du projet de loi initial.

Au départ déjà, aucune situation d’empêchement d’accomplir un suicide assisté au sein des HUG ou dans un EMS n’avait pu être identifiée. Le Parlement avait considéré que le fait d’empêcher les établissements médicaux ainsi que les établissements médico-sociaux de refuser la tenue d’une assistance au suicide dans leurs locaux était un message politique de soutien général au suicide assisté mais ne modifiait en rien les pratiques déjà existantes dans ces institutions.

Cette loi n’était pas indispensable mais, si vous me passez l’expression : elle ne « mangeait pas de pain ».

Au stade où nous nous retrouvions, compte tenu de l’impossibilité de faire fonctionner la commission de surveillance en matière d’assistance au suicide, du refus d’une large majorité de reconnaître la pertinence d’amender la loi de manière à y inscrire, non seulement le principe général du recours à un deuxième avis médical mais aussi la nécessité d’assurer une formation ad hoc certifiante aux bénévoles intervenant dans le processus de fin de vie lors d’un suicide assisté sont au bénéfice, la majorité de la commission a préféré tout abroger :

  • Abrogation de l’article 39A, qui empêche les établissements médicaux ainsi que les établissements médico-sociaux de refuser la tenue d’une assistance au suicide dans leurs locaux ;
  • Abrogation de l’article 12A, qui instaure une commission de surveillance en matière d’assistance au suicide.

L’abrogation de ces deux articles a été adoptée par la Plénière le 1er septembre 2023, déclenchant le processus référendaire.

ISSUES DU RÉFÉRENDUM

Échec du référendum : fin de la saga

Si le référendum échoue, confirmant le vote majoritaire à la fois de la commission de la santé et du Grand Conseil, cette saga prend fin. C’est ce à quoi nous devons œuvrer.

Aboutissement du référendum : probable reprise des travaux sur le suicide assisté par le Grand Conseil

Les deux dispositions suivantes seront maintenues dans la loi genevoise sur la santé :

  • L’article 39A, qui empêche les établissements médicaux ainsi que les établissements médico-sociaux de refuser la tenue d’une assistance au suicide dans leurs locaux ;
  • L’article 12A, qui instaure une commission de surveillance en matière d’assistance au suicide.

Cette commission de surveillance en matière d’assistance au suicide qui pose un réel problème d'applicabilité et que le Conseil d’État, avec une majorité de la commission de la santé d’alors avait voulu abroger...

Le Peuple s’apprête donc à maintenir une loi dont l’application a été jugée impossible et le Conseil d’État devra vraisemblablement revenir avec un projet de loi abrogeant ou modifiant l’article 12A.

La commission de la santé reprendra donc ses travaux sur la question de l’assistance au suicide.

Le moment venu, nous serions certainement favorables à généraliser la portée de l’article 39A et de l’amender complétement en disposant, par exemple : « nul ne peut s’opposer à la tenue d’une assistance au suicide » puis en reprenant l’idée d’un deuxième avis médical et celle de la formation des bénévoles d’assistance au suicide.

CONCLUSION

Après sept de travaux compliqués sur l’assistance au suicide, la majorité du Grand Conseil est arrivé à la conclusion que la liberté de pouvoir bénéficier d’une assistance au suicide dans les établissements médicaux ainsi que les établissements médico-sociaux était assurée depuis longtemps et qu’il n’était pas nécessaire d’introduire, dans la législation genevoise, des dispositions complémentaires à celles du Code pénal.

Le PLR Genevois a quant à lui finalement décidé de soutenir le referendum, non pas sur le fond, la loi actuelle étant inadaptée comme expliqué ci-dessus, mais sur la forme, ne souhaitant pas prendre une position qui pourrait être perçue comme étant contre le droit au suicide.

Le Conseil d’État devra ainsi redéposer un projet de loi pour reprendre l’article 12A. Cas échéant, plutôt que d’abroger cet article, le Conseil d’État serait bien inspiré de l’amender afin d’en garder le principe en le rendant applicable.