France: drôle de démocratie

Beaucoup de Genevois auront suivi les élections régionales françaises. Certains se seront félicités du barrage dressé face au Front National lors du deuxième tour. Et pourtant ? Notamment, en PACA et en Nord Pas de Calais, c'est à dire contre les Le Pen tante et nièce, l'opération ne laisse-t-elle pas songeur ? Messieurs Bertrand et Estrosi sont-ils des vainqueurs au plein sens de la démocratie ? Le malaise est flagrant. Pour leur succès, il aura fallu que les listes socialistes fussent retirées. Autrement dit, durant six ans, aucun socialiste ne figurera dans ces deux Conseils régionaux. Aucun débat institutionnel entre la Gauche et la Droite n'y aura lieu. Certes, les deux élus ont multiplié les assurances selon lesquelles ils tiendraient compte de tous leurs électeurs du deuxième tour. Paroles, paroles chantait Dalida. Depuis 2012, les deux n'ont cessé d'attaquer durement les Socialistes au pouvoir. Et voilà que, soudain, grâce à un ennemi commun dressé comme un épouvantail, on célèbre le Front républicain qui a stoppé l'extrême droite. Voilà que serait écarté le risque de guerre civile, selon les mots un peu hystériques de Manuel Vals.

Entendons nous bien. Rien dans le discours du Front national ne devrait séduire un esprit raisonnable. Ni le ton adopté pour parler des étrangers, des immigrés, des Musulmans. Ni les solutions extrêmes et irréalisables évoquées dans ce domaine par leurs ténors. Ni le protectionnisme économique appelé de leurs voeux. Ni la dénonciation des liens liant la France à l'Union européenne. Ni cette confiance mythique accordée aux frontières nationales d'antan. Soit ! Mais une Présidence dévolue à ce parti dans deux régions n'aurait pas signifié la révolution nationale du régime de Vichy. Les compétences dévolues aux régions sont limitées dans une France qui reste fortement centralisée. Les budgets aussi le sont. Surtout, un tel barrage anti Front national aurait eu un sens si Gauche et Droite traditionnelles, en France, en étaient à former des coalitions à l'allemande. On en est bien loin.

Certes on peut discuter le point de vue exprimé ici et la réaction d'un Nicolas Sarkozy contre sa numéro deux au Parti républicain n'illustre vraiment pas une culture libérale du dialogue. Ce Bonaparte qui ronge son frein n'est décidément pas Tocqueville. Il n'empêche que cette opération,-- n'en déplaise aux Socialistes qui se targuent d'avoir eu le réflexe moral--, dégage un parfum peu démocratique. Une dramatisation, une pression énorme et une sortie de terrain ont incité des électeurs à voter à contre sens. Les Socialistes ne joueront pas le jeu du débat démocratique dans des Conseils régionaux abandonnés pour les besoins de leur hostilité principale. Des Socialistes frustrés, des élus du Parti républicain peu légitimés : voilà des arguments qui vont doper la campagne présidentielle de Marine Le Pen. Ajoutons à cela les tiraillements internes à gauche et à droite : quelle image trouble en ressort ! Franchement, nous avons eu le spectacle d'une drôle de pièce. Sans doute, les calculs tactiques de François Hollande en vue de 2017 ont-ils pesé lourd dans cette opération. Mais il est probable que nombre de Français auront encore moins confiance dans une classe politique qui joue à l'élastique avec la démocratie.

Heureusement qu'il y a eu une vraie bataille dans la régionale de l'île de France. Valérie Pécresse, au moins , offre une image intacte.