OPINION. Doris Leuthard a évoqué un «vote de principe» sur notre
relation à l'Europe. Plutôt que de discuter de principes généraux, il
serait plus judicieux de donner un mandat fort à la Confédération dans
ses négociations, estime Joëlle Fiss, l'une des rares Suissesses a avoir
travaillé au Parlement européen
Récemment, la conseillère fédérale Doris
Leuthard a proposé un «vote de principe» sur la relation de la Suisse
avec l'Union européenne (UE).
A priori, cela ne semble
pas être une mauvaise idée. Après tout, la Suisse est le seul pays du
monde où le système de démocratie directe par référendum fonctionne
harmonieusement. A l'inverse de nombreux pays, le référendum est peu
utilisé à des fins autres que l'objet du scrutin en question. Il ne sert
ni à plébisciter une direction prise par les autorités, ni à
sanctionner un gouvernement. Le référendum helvétique est avant tout
pragmatique. Les implications du scrutin sont scrupuleusement débattues
et pesées. C'est la grande force de notre démocratie si originale!
Lire aussi la chronique: Suisse-UE: changeons l'atmosphère
Risque de confusion totale
Les
Suisses aiment donc se prononcer sur des questions concrètes. Or, la
proposition d'un «vote de principe» est vague et peut aboutir à une
confusion totale. Un tel référendum pourrait ouvrir la boîte de Pandore
en évoquant tout et son contraire sur les relations entre la Suisse et
l'UE. Bref, une manne bénie pour l'UDC et tous ceux qui pourront
instrumentaliser le débat public. Si l'on doit voter sur quelque chose,
votons sur un plan d'action précis. Plutôt que de discuter de
principes généraux, il serait plus judicieux de donner un mandat fort à
la Confédération dans ses négociations. Le diable sera dans les détails.
Parlons-en.
En revanche, il est difficile de
s'intéresser aux négociations lorsque l'on réduit toujours cette
coopération à une succession d'accords technocratiques. Par exemple, un récent éditorial du Temps
note: «A Berne, on parle indifféremment d'accord-cadre, institutionnel,
transversal ou désormais fondamental.» Si beaucoup d'Européens ont déjà
tendance à être eurosceptiques, il n'y a aucune surprise que les
Helvètes le soient davantage avec ce genre de langage rébarbatif.
Pour
donner un véritable sens aux relations entre la Suisse et l'UE, il faut
évoquer nos liens profonds avec le continent à tous les niveaux, à
commencer par nos relations géographiques, culturelles, politiques et
économiques.
Les bases d'un accord de principe
J'ose espérer que la majorité du pays peut se mettre d'accord sur les principes suivants, sans référendum:
1.
Géographiquement, la Suisse est plongée au cœur du continent et voisine
des grands membres fondateurs historiques de l'Union. Notre partenariat
est unique par rapport à d'autres non-membres en raison de notre
centralité, à l'inverse d'autres partenaires en région plus périphérique
(par exemple la Norvège).
2.
Culturellement, la Suisse reste le pays européen par excellence. Un
petit mais notable exemple: on parle non seulement le français,
l'allemand et l'italien mais, en plus, l'une de nos langues officielles
est un mélange des trois! La Suisse possède une tradition riche de
débats et de mouvements intellectuels qui sont inséparables de ceux des
autres pays de l'Union européenne.
3.
Politiquement, notre système parlementaire est très proche de celui de
nos voisins mais notre démocratie directe nous place dans une position
remarquable: elle la rend incompatible avec les traités de l'Union
européenne. La question de devenir membre ne se pose donc pas.
4.
Economiquement, environ 60% des exportations suisses sont dirigées vers
le marché communautaire et près de 80% de ses importations en sont
originaires. Environ 43% des investissements directs suisses sont
destinés aux pays membres de l'UE. En 2015, les entreprises suisses
emploient plus de 1,2 million de personnes dans les pays de l'UE et plus
de 290 000 travaillent en Suisse*. C'est dans notre intérêt total de
poursuivre des liens économiques étroits avec l'UE.
*Chiffres provenant de Suisse-Union européenne: l'adhésion impossible?, René Schwok, 2015.
Article paru sur le blog www.letemps.ch/opinions/2018/01/14/relations-suisseue-un-referendum-principe - paru le 15.1.2018 en sa version papier.