Annoncée en plein été, la surtaxe américaine de 39% a immédiatement frappé l’industrie exportatrice et pesé sur la conjoncture. La déclaration d’intention du 14 novembre, qui prévoit un plafonnement à 15 % a apporté un soulagement décisif. Elle relance toutefois une question centrale : comment la Suisse peut-elle protéger durablement ses intérêts dans un environnement commercial devenu plus instable et plus politique ?
Le 31 juillet a marqué un brusque changement de perspective pour de nombreuses entreprises suisses. Ce jour-là, Washington a imposé une surtaxe de 39 % sur une large partie des biens helvétiques, sans préavis ni transition. En quelques heures, des commandes ont été suspendues, des contrats renégociés et des marges entièrement recalculées. L’épisode a rappelé qu’un accès au marché peut basculer lorsque la politique commerciale devient un instrument de pression.
Dans les machines, la medtech, l’électronique, l’agroalimentaire ou l’horlogerie, les entreprises ont dû évaluer dans l’urgence l’impact d’un handicap aussi massif. Certaines ont envisagé des transferts partiels de production vers l’Union européenne pour préserver leur compétitivité aux États-Unis. Avec 39 % de droits supplémentaires, la comparaison avec les concurrents européens n’était plus tenable. Les Suisses étaient hors jeu. Pour amortir le choc immédiat, la réduction de l’horaire de travail a été prolongée dans les secteurs les plus exposés, évitant une perte brutale de compétences dans l’industrie.
Un choc qui a révélé une interdépendance profonde
Les données publiées à l’automne ont confirmé ce que les entreprises avaient observé sur le terrain : la croissance s’est contractée au troisième trimestre, principalement sous l’effet du recul industriel. Mais la portée de cet épisode dépasse la conjoncture. Les entreprises suisses emploient près de 400 000 personnes aux États-Unis, et plus d’un cinquième de leurs investissements directs à l’étranger s’y trouvent. Dès que les règles changent à Washington, les effets se répercutent immédiatement sur l’activité en Suisse comme sur les filiales américaines. Dans ce contexte, la prévisibilité tarifaire constitue un élément essentiel de sécurité économique.
Ce que dit la déclaration d’intention
La déclaration d’intention publiée le 14 novembre a représenté un soulagement important. Le texte prévoit une modification imminente des droits appliqués et établit une orientation précise : dans le cadre d’un futur accord commercial, les États-Unis appliqueront un taux maximal de 15 % aux produits suisses, sauf si le tarif de la nation la plus favorisée (NPF) s’avère supérieur. Cette perspective réintroduit un horizon de visibilité qui avait disparu pendant l’été.
Les volets non tarifaires du texte restent très limités. Les contingents agricoles évoqués portent sur des volumes infimes – à peine 0,7 % de la consommation totale de viande en Suisse – et ne modifient aucune norme sanitaire. Les produits qui ne respectent pas les standards suisses, y compris les volailles traitées comme le « poulet au chlore », restent interdits d’importation. Rien, dans le texte, ne change ce cadre. Les passages relatifs aux sanctions et aux contrôles à l’exportation rappellent simplement une coopération déjà existante, appréciée par la partie américaine. Aucune obligation nouvelle n’est introduite : notre pays conserve l’entier de son cadre juridique.
Accès aux marchés : une stratégie globale
L’épisode américain rappelle qu’une économie ouverte doit penser son accès aux marchés dans une perspective globale. Le marché américain reste central, mais ne peut être compris isolément. Les annonces d’investissements – près de 200 milliards de dollars – ont parfois été interprétées comme des engagements publics ; il s’agit pourtant de décisions entièrement privées, certaines planifiées avant l’été. Elles illustrent la densité des liens transatlantiques.
Nos entreprises figurent parmi les principaux investisseurs étrangers en R&D aux États-Unis, et les revenus rapatriés de leurs filiales renforcent la capacité financière des maisons-mères en Suisse. Ils contribuent à maintenir des activités à forte valeur ajoutée, à financer l’innovation et à soutenir l’emploi. Cette internationalisation n’a jusqu’à présent pas entraîné de recul de l’emploi chez nous, au contraire : les groupes actifs aux États-Unis ont maintenu, voire augmenté, leurs effectifs en Suisse.
Dans ce contexte, les accords de libre-échange et des conditions d’accès au marché prévisibles jouent un rôle déterminant. La consolidation de la voie bilatérale avec l’Union européenne, notre premier débouché, reste indispensable pour garantir un accès privilégié à ce marché.
L’autre leçon de l’été : les fragilités internes
La crise tarifaire a aussi révélé que la vulnérabilité d’une économie ouverte ne vient pas uniquement de l’extérieur. En Suisse, la bureaucratie représente près de 30 milliards de francs de coûts annuels et mobilisent l’équivalent de plus de 55 000 emplois à plein temps. Ces charges limitent la capacité des entreprises à absorber des chocs externes et soulignent la nécessité de simplifier les processus, d’accélérer la digitalisation et de réduire les lourdeurs qui freinent la compétitivité. Le moment est venu d’alléger ce poids administratif au moyen de mesures ciblées et effectives.
Un été qui laisse des enseignements durables
L’été des 39 % a montré la rapidité avec laquelle un grand partenaire peut modifier unilatéralement les conditions d’accès au marché. La perspective d’un taux maximal de 15 % rétablirait une égalité de traitement avec l’UE et l’AELE et atténuerait une partie des tensions apparues depuis août, même si un risque résiduel subsiste tant que l’accord formel n’est pas conclu. Dans le climat de débat qui a suivi, certaines lectures se sont éloignées du contenu réel : les contingents agricoles concernés restent marginaux, une partie des investissements annoncés relèvent de plans industriels préexistants, et la Suisse conserve l’entier de son autonomie juridique en matière de sanctions.
Pour une économie aussi ouverte que la nôtre, l’essentiel demeure de maintenir un accès stable aux marchés clés tout en renforçant ses propres fondamentaux. L’épisode de cet été l’a montré avec clarté : la résilience économique repose autant sur des accords solides que sur la capacité du pays à rester lucide, factuel et conscient de ses atouts.