Dans le premier volet de ce diptyque, nous avons rappelé que la culture n’est pas un simple divertissement, mais un pilier de la démocratie et de la liberté. Ce second article se penche sur la mise en œuvre concrète de cette vision : comment traduire en actions la liberté de création, la transparence et la responsabilité partagée.
Responsabilité et transparence
La culture exige aussi de la responsabilité dans la gestion publique. Les subventions multiples, parfois accordées par les communes, le canton et même la Confédération, doivent être coordonnées. Un guichet unique ou une meilleure harmonisation des procédures permettrait d’éviter les doublons et de renforcer la transparence.
À cet égard, Genève illustre bien les dérives d’une organisation culturelle parfois trop fragmentée. Le canton dispose en effet de deux fonds d’art contemporain :
le Fonds municipal d’art contemporain (FMAC) de la Ville de Genève et le Fonds cantonal d’art contemporain (FCAC) du Canton de Genève. Tous deux achètent, conservent et exposent des œuvres d’artistes contemporains, poursuivant des missions largement similaires. Ce double dispositif, unique en Suisse, soulève la question d’un véritable doublon institutionnel.
Si chacun de ces fonds a sa légitimité historique, leur coexistence interroge aujourd’hui l’efficacité globale de notre politique culturelle. Dans un contexte où les ressources publiques sont limitées, il serait souhaitable de mieux coordonner leurs actions, voire de repenser leur complémentarité. Car au fond, la finalité ne devrait pas être d’entretenir deux structures parallèles, mais de mettre en valeur le travail des artistes et d’en faire bénéficier l’ensemble des Genevois et des Genevoises.
Peu de citoyens connaissent d’ailleurs l’existence de ces fonds, alors même qu’ils représentent un investissement public important. Les rendre plus visibles, transparents et ouverts à la population serait un moyen de rapprocher l’art de celles et ceux qui le financent. Une politique culturelle responsable doit avant tout viser cette clarté : moins de superpositions administratives, plus de lisibilité et d’impact pour le public.
De plus, les projets soutenus devraient faire l’objet d’une évaluation régulière, portant sur leur impact culturel, leur fréquentation, leur innovation et leur contribution à la diversité. Cette évaluation, rendue publique, donnerait aux citoyens comme aux élus une vision claire de l’utilisation des fonds.
Enfin, il convient de rappeler que la subvention n’est pas une rente à vie. Elle doit être justifiée, mesurée, révisée. C’est un gage de sérieux vis-à-vis des contribuables comme des acteurs culturels.
Encourager un écosystème diversifié
La culture ne vit pas uniquement grâce à l’État. Elle repose sur un écosystème riche et diversifié, où chacun a un rôle à jouer : les institutions publiques qui assurent la continuité et la qualité, les communes qui garantissent la proximité, les associations locales qui animent le quotidien, mais aussi les entreprises et les mécènes qui apportent innovation, souplesse et moyens complémentaires.
Une politique culturelle moderne doit encourager cette pluralité d’acteurs, au lieu de la remplacer par un soutien public exclusif. Cela suppose de valoriser le mécénat, de faciliter les partenariats public-privé et de donner aux acteurs culturels les moyens d’innover dans leur modèle économique. L’autofinancement, lorsqu’il est possible, est un signe de vitalité et d’indépendance : il montre qu’une institution ou un projet sait attirer son public, diversifier ses ressources et éviter la dépendance totale aux subventions.
À Genève, cet écosystème doit fonctionner à deux niveaux. D’une part, il faut veiller à la vitalité de nos grandes institutions (musées, théâtres, opéras) qui portent notre rayonnement international. D’autre part, il convient de soutenir la culture de proximité : bibliothèques communales, sociétés de musique, théâtres de quartier, associations artistiques. Car c’est dans cette diversité que se joue la cohésion sociale et que s’exprime le caractère vivant de notre culture.
Encourager un équilibre entre soutien public et responsabilité propre des acteurs culturels, c’est garantir à la fois la liberté de création, la pérennité des projets et la bonne utilisation des fonds publics. C’est aussi une manière d’inscrire la culture dans une logique de durabilité et de responsabilité, plutôt que de dépendance et de fragilité.
Innovation et patrimoine
La culture est aussi un champ d’innovation. La transition numérique permet aujourd’hui d’élargir l’accès aux archives, aux collections et aux expositions, en rendant le patrimoine disponible à un public plus vaste. Genève a fait de cette transformation une priorité avec sa stratégie Genève numérique, qui vise à placer le numérique au service des habitants, des entreprises et de la création.
Loin d’être une menace, le numérique est une opportunité pour diversifier les modes de médiation culturelle : visites virtuelles, catalogues en ligne, jumeaux numériques du territoire, outils interactifs pour les écoles. Ces nouvelles pratiques ne remplacent pas l’expérience directe, mais elles la complètent et l’enrichissent.
Dans le même temps, notre patrimoine doit être valorisé et transmis. Il fonde notre identité collective et nourrit notre avenir. Allier mémoire et modernité, c’est garantir une Genève culturelle fidèle à son histoire et résolument ouverte sur le monde.
Conclusion
La culture n’a pas de couleur politique. Elle est un espace de liberté, de pluralisme et de responsabilité. Elle est un ciment démocratique, un levier de cohésion sociale et un moteur économique. Mais elle exige de la clarté : soutenir sans orienter, investir sans gaspiller, encourager sans uniformiser.
À Genève, nous avons la chance de disposer d’un tissu culturel exceptionnel, fruit d’une histoire façonnée par la liberté, la curiosité et l’audace. Ce patrimoine vivant nous oblige : il nous appartient de le préserver, de le transmettre et de l’enrichir, avec exigence, transparence et responsabilité.
Car une politique culturelle digne de Genève ne se contente pas de gérer l’existant, elle porte une vision. Elle prépare l’avenir, elle relie les générations, elle libère les talents.
La culture n’est pas un supplément d’âme : elle est la respiration même de notre cité, ce par quoi une société s’élève et se reconnaît. Si nous savons la défendre avec intelligence et courage, elle restera ce qu’elle doit être : un bien commun, une source de liberté, et une fierté partagée pour Genève.