J’ai eu la chance d’assister à la projection d’un film offrant un entretien entre la journaliste Romaine Jean et Yves Oltramare, à l’occasion de son centième anniversaire. Ancien banquier privé, l’homme est simultanément devenu un demandeur et un chercheur assidu en spiritualité ; la sienne propre et celle des autres grâce à des échanges personnels enrichissants. Je brûle de revenir sur ce terrain, tant je trouve sa réflexion inspirante. Je me contente d’évoquer ici sa fondation visant à promouvoir un dialogue entre scientifiques, tels des astrophysiciens, et des théologiens. Fossé ou, finalement, connexions entre science et spiritualité ?
Regard d’un centenaire sur les dangers pesant sur nos sociétés
Mais je reviens sur un autre chapitre du film, celui où le centenaire s’interroge à propos des dangers qui pèsent sur nos sociétés, en regard des catastrophes passées ou possibles ; sur les ruptures ayant eu lieu et en cours. L’homme au long parcours de vie se défend de voir un présent pire que le passé. En effet, ce dernier a eu son lot de tragédies et, d’ailleurs, l’histoire humaine en est pleine. Quant au présent, il bénéfice aussi de nombreux progrès ; notamment dans les domaines économiques, sociaux, médicaux. Au fond, chaque génération doit assumer les responsabilités correspondant à son temps de vie. Le centenaire veut croire à la capacité des jeunes à cet égard.
Une menace spécifique, distinguer le vrai du faux
Pourtant, le temps qui s’ouvre à nous et aux générations montantes se trouve devant des menaces qui lui sont spécifiques. C’est ce point qui a particulièrement retenu mon attention car il me préoccupe depuis longtemps. Je veux parler de la difficulté grandissante à distinguer le vrai du faux. Les technologies modernes aggravent ce danger. Prenons un exemple qui m’a frappé en regardant un document télévisé. Sur un réseau social est apparu soudain l’ancien Président Obama tenant un discours étonnant dans sa bouche ; sur l’immigration je crois, Tout semblait vrai. Sauf que c’était un montage. Ce n’était pas Obama, lequel, le vrai, n’avait jamais tenu de tels propos. Mon petit-fils a expliqué à son grand-père ahuri que rien n’était plus facile que de faire un tel montage et qu’il pourrait me présenter une vision où l’on me verrait et entendrait faire l’éloge de Hitler ou de Staline. Sans aller jusque-là, pourquoi pas de Poutine ?
Bon je sais que l’intelligence artificielle peut rendre de très grands services. Mais elle peut aussi créer de faux humanoïdes manipulant tristement les vrais humains. Et de vrais humains manipulateurs et maléfiques peuvent l’utiliser à leurs fins nocives. Bref, les dangers sont évidents. La confusion entre le vrai et le faux pourrait déstabiliser nos sociétés démocratiques si elle se généralisait.
L’intelligence naturelle, une plus-value protectrice
Alors, évidemment, je m’interroge : comment faire face à ce danger ? J’ai la lucidité, ou la faiblesse et l’illusion peut-être de penser que tout va dépendre de la capacité, développée et entretenue, des hommes à distinguer le vrai du faux. Pour cela, me semble-t-il, il y a besoin d’une transmission mentale, morale et je pense aussi spirituelle entre générations. Cela comporte une culture générale, historique, civique, et des exercices d’approche critique (ne jamais croire d’emblée tout ce qui se dit, s’écrit, se montre), soit un réflexe de questionnement permanent. Cela ne veut pas dire qu’il faille tout remettre en cause. Ce serait un autre danger. Mais il faut savoir à quoi l’on tient, qui on est vraiment, personnellement, s’attacher aux liens intellectuels et spirituels qui nous structurent.
Je sais… Certains diront que je me paie de mots. Mais je ne vois pas d’autres chemins. Afin d’utiliser l’intelligence artificielle et tout ce qu’elle permet, je ne vois pas d’autres antidotes que l’intelligence naturelle avec tout ce qu’elle comporte. Après tout, si les gens de ma génération font partie de la garde descendante, il leur appartient néanmoins d’exprimer jusqu’à leur dernier souffle ce que l’homme peut et doit attendre de lui-même, en apportant cette plus-value permanente dans le cadre collectif de nos sociétés occidentales. Oui, que perdurent et se lèvent des hommes et des femmes ayant à l’esprit et à cœur, en s’y entraînant, de discerner le vrai du faux.