Pour une école heureuse

Par Jacques-Simon Eggly

À Genève, la Conseillere d’État Anne Hiltpold, cheffe du departement de l’instruction publique, a réuni une grande partie des enseignants. Quelle bonne initiative ! Comment sera organisée la suite, et quels résultats en attendre ? On verra. Le but général affiché est d’ouvrir des pistes dans la perspective de reformes importantes.

« Il n’est pas normal que tant de collégiens se sentent oppressés au lieu de ressentir de l’intérêt et même du plaisir. »

Depuis des décennies, la question de l’école m’a fortement intéressé. Et raison des circonstances de la vie, j’ai ajouté à mes autres activités, durant plus de vingt ans, un enseignement à temps partiel. Ce fut une grande satisfaction. J’ai toujours pensé que l’organisation de la scolarité était une tâche prioritaire de l’État.

Je livre ici quelques réflexions, étant entendu qu’elles sont discutables.

Donc, première constatation. Un sondage fait auprès d’un éventail de collégiens tendrait à montrer que nombre d’entre eux sont déprimés, fatigués, déçus par leur vie scolaire. À recevoir certes avec précaution ; mais si c’est largement vrai, c’est vraiment inquiétant. Personnellement je connais des adolescents qui ressentent les choses ainsi. Évidemment, tout le monde n’est pas Montaigne, qui a aimé ses études sur mesure si particulières. Un privilégié conduit vers l’humanisme. Toutefois je me pose une question. Le postulat selon lequel chaque adolescent devrait être bon dans toutes les matières pour obtenir son diplôme de maturité est-il le meilleur ? Autrement dit, celui ou celle qui désire prendre du temps pour la littérature, les langues anciennes, la philosophie, l’histoire doit-il, doit-elle, régater avec les esprits plus scientifiques qui trouvent leur aise avec les maths, la physique, la chimie, et qui n’ont guère de goût pour les sciences dites humaines ? Les uns comme les autres ne passent-ils pas un temps énorme, usant, afin de ne pas être largués dans les branches qu’ils ne prisent guère ; ne dégageant du coup pas assez de temps pour ce qui les motivent ? Cela ne concerne pas ceux qui ont des facilités en tout et, encore une fois, je pose la question et serai attentif à l’objection. Donc, ne faudrait-il pas un système plus souple, les littéraires abordant un programme différent de celui des scientifiques ? À l’inverse, les esprits scientifiques, ne pourraient-il pas bénéficier d’approches plus légères mais nourrissantes sur les branches littéraires ? Et puis, ne pourrait-on pas avoir des classes en mouvement, tel regroupement pour telle branche, et d’autres ailleurs ? Une sorte de souplesse, aboutissant à des diplômes finaux différenciés ? En tout cas une appréciation de la situation me semble nécessaire. Il n’est pas normal que tant de collégiens se sentent oppressés au lieu de ressentir de l’intérêt et même du plaisir.

Cela étant, peut-être trop d’élèves entrent-ils au collège, voire plus tard à l’université. Il y a d’autres filières, d’autres formations qui ne devraient pas être dévalorisées. Il y a des offres d’écoles spécialisées et d’apprentissages pratiques. Personnellement, j’ai toujours eu le critère suivant de jugement. Celui ou celle que j’observe fait-il ce pourquoi il est fait et le fait-il bien ?

Encore une conviction à propos des enseignants. Il y en a tant qui aiment leur métier. Il y en a aussi qui sont devenus enseignants par défaut et non en raison d’une passion pour la transmission. Je pense qu’il faut valoriser l’image du professeur, en lui permettant de se donner à fond. Une vocation. Un porteur d’un récit, d’une pédagogie, et non pas un distributeur de documents à commenter. Que ce soit un professeur d’histoire ou de maths, ceux qui marquent sont ceux qui font don de leur personne à leurs élèves durant l’heure de cours.  De cela, je suis persuadé.

Mais alors, ils doivent aussi être soutenus, protégés, par les doyens, les directeurs, et jusqu’en haut de la hiérarchie. Or, ce n’est pas toujours le cas. Protection nécessaire aussi face à certains parents peu respectueux du corps professoral et soutien à une exigence de discipline. Sans parler du rempart ferme de la laïcité à maintenir sans hésitation.

Un dernier mot à propos de l’enseignement supérieur, universités et écoles fédérales. Là aussi, une réflexion serait nécessaire au sujet du stress des étudiants. Finalement, la grande question est celle-ci : que reste-t-il d’utile, de nécessaire, de fécond chez le jeune devenu adulte et engagé dans une activité ? Une tête bien faite, ou une tête bourrée, qui ne réussira même plus à demeurer pleine ?

Voilà en vrac des réflexions que j’exprime. Je me demande si les discussions autour de la Conseillère d’État en rejoindront quelques-unes. En tout cas, je serais satisfait si tels ou tels enseignants, ayant eu vent de ce billet, me donnaient leurs opinions, fussent-elles contraires.  Il me semble que c’est un débat essentiel.