Votations fédérales : Initiative sur le « Service citoyen » : idée noble, mauvais timing

Par Simone de Montmollin, Conseillère nationale
 

Le 30 novembre, le peuple suisse se prononcera sur l’Initiative populaire « Pour une Suisse qui s’engage (initiative service citoyen) ». Celle-ci veut imposer à toutes les personnes de nationalité suisse d’accomplir un service au bénéfice de la collectivité ou de l’environnement. Elle veut remplacer l’obligation de servir actuelle, en la redéfinissant autrement. Une idée en soit intéressante, qui ravive le débat sur l’égalité devant le devoir de servir, la cohésion sociale et la redéfinition contemporaine de l’engagement citoyen en Suisse. À un moment où les enjeux sécuritaires priment sur d’autres considérations, le Conseil fédéral et le Parlement recommandent son rejet. Simone de Montmollin, conseillère nationale, revient sur les origines du service citoyen, en nous exposant que cet engagement doit certainement être encouragé, mais cette initiative ne répondant pas à des questions essentielles, il convient de la rejeter.

L’idée d’un service citoyen n’est pas nouvelle, de nombreux objets visant des objectifs similaires ont été examinés au Parlement ces vingt dernières années. Le PLR avait d’ailleurs déposé une motion dans ce sens en 20201, convaincu que l’engagement de milice est un des fondements de notre démocratie. Cette motion avait été rejetée, sans pour autant apporter de réponse au défi de notre époque, marquée par l’individualisme. L’initiative populaire pose donc une vraie question, raison pour laquelle des élus PLR avaient soutenu son lancement. La proposition d’élargir l’obligation de servir à l’ensemble des citoyennes et citoyens n’a pourtant pas su convaincre.

Petit rappel chronologique

Depuis le XIXe siècle, la Suisse connaît une obligation de servir réservée aux hommes, longtemps limitée au service militaire. Jusqu’en 1996, les objecteurs de conscience étaient passibles de prison. L’introduction du service civil cette même année leur a offert une alternative reconnue, d’une durée équivalente à 1,5 fois celle du service militaire. La suppression de « l’audition de conscience » en 2009 a augmenté son attractivité, faisant bondir les admissions à 6700 personnes cette année-là. En 2023, on comptait 6754 admissions et 1,8 million de jours de service civil, pour environ 100 000 jeunes hommes convoqués au recrutement chaque année.

Parmi eux, près de 70 % sont jugés aptes au service militaire, environ 8 à 10 % sont aptes uniquement à la protection civile, tandis qu’entre 18 et 20 % sont inaptes aux deux et donc dispensés de toute obligation. Le service civil, quant à lui, reste accessible aux personnes aptes au militaire mais invoquant un motif de conscience ; il constitue donc une voie parallèle et volontairement choisie.

L’élargissement progressif des critères d’aptitude à l’armée, qui permet à davantage de personnes partiellement aptes de servir dans des fonctions adaptées, ainsi que la diversification des formes d’engagement développées ces dernières années traduisent une évolution vers un modèle plus inclusif du devoir de servir. Ce qui a conduit à des modifications sensibles, comme l’augmentation de la part des candidats entrant dans le service civil après l’école de recrues. Ce taux dépasse désormais un tiers des admissions, montrant que cette voie n’est plus seulement un refuge pour objecteurs, mais une composante intégrée du système de service obligatoire.

« Avec deux fois plus de personnes qu'aujourd'hui absentes de leur lieu de travail pendant la période astreinte, les milieux patronaux craignent une aggravation de la pénurie de main-d'oeuvre qualifiée. »

Les effectifs dans l’armée et la protection civile sont une priorité

Le DDPS doit garantir la disponibilité de l’armée et de la protection civile dans un contexte de remilitarisation européenne et de menaces croissantes. L’effectif global de l’armée n’est pas remis en question. Mais année après année, la protection civile affiche un effectif très inférieur aux besoins (environ 60 000 membres début 2024, pour un objectif de 72 000). Par ailleurs, la modernisation de l’armée exige des profils de plus en plus techniques et rares (cyber, logistique, maintenance). Ces contraintes pèsent lourdement sur le recrutement, la formation et la planification opérationnelle de l’armée. Pour y faire face, le Parlement a récemment décidé de renforcer les effectifs et la disponibilité de la protection civile.

L’initiative « Service citoyen », en étendant l’obligation à toute la population et pour des activités très variées, pourrait au lieu de renforcer les effectifs militaires et de protection civile, disperser les forces entre activités civiles et militaires, compliquer l’affectation des recrues et augmenter fortement les coûts logistiques et administratifs. L’initiative ne dit en effet rien sur le maintien de l’obligation du service militaire. Sans priorisation claire vers l’armée ou la protection civile, elle risque de réduire la capacité opérationnelle et créer des tensions avec les récentes réformes votées au Parlement.

« Les restrictions budgétaires actuelles obligent à faire des choix. Dans le contexte sécuritaire actuel, le financement de l’équipement et la formation de l'armée doit être une priorité absolue. »

Des coûts supplémentaires d’environ 2 milliards par an

Les coûts de mise en œuvre de cette initiative se chiffrent en milliards en raison du quasi doublement du nombre d’astreintes et astreints. Selon les chiffres du Conseil fédéral, les allocations pour perte de gain augmenteraient d'environ 1,6 milliard et les dépenses pour l'assurance militaire d'environ 320 millions. Ces coûts supplémentaires d’environ 2 milliards de francs par an devraient être supportés par les employeurs, les employés et les pouvoirs publics.

Les restrictions budgétaires actuelles obligent à faire des choix. Dans le contexte sécuritaire d'aujourd'hui, le financement de l’équipement et de la formation de l'armée doit être une priorité absolue.

Une pression accrue sur le marché du travail et l’économie

Avec deux fois plus de personnes qu'aujourd'hui absentes de leur lieu de travail pendant la période astreinte, les milieux patronaux craignent une aggravation de la pénurie de main-d'œuvre qualifiée, qui entraînerait des pertes de productivité et obligerait les entreprises à trouver des solutions de remplacement coûteuses. Par ailleurs, l’augmentation des services à l’économie par le service civil augmenterait également la concurrence avec les entreprises actives sur ces secteurs dans le marché libre. Occasionnant des tensions entre les entreprises concernées, mais aussi entre les employés.

Quid de la notion d’égalité ?

Si l’on comprend la volonté initiale de favoriser une meilleure reconnaissance de l’engagement de toutes personnes majeures et suisses, imposer le service obligatoire à tous, hommes et femmes, sous couvert d’égalité, risque au contraire de renforcer les inégalités réelles. Les femmes, qui assument déjà une part disproportionnée des tâches domestiques et de soin, devraient ajouter une mission civique ou environnementale structurée. Sans mesures d’aménagement et de reconnaissance du travail de care, l’égalité formelle ne se traduirait pas en égalité réelle, créant une double charge pour les femmes.

En conclusion

Si cette initiative part d'une bonne intention, elle laisse de nombreuses questions sans réponses : comment garantir à la fois le libre choix du service et la garantie des effectifs ? Au vu de la situation géopolitique actuelle, on ne peut pas fonctionner « à l'envie ». Comment occuper 70 000 astreintes et astreints de plus ? Comment les compenser sur le marché du travail ? Comment financer ces compensations ? Comment définir ce qui relève d’un « service à la collectivité »  ? Comment éviter une concurrence déloyale dans ces secteurs ?

Ces questions restées ouvertes ont conduit au rejet de l’initiative « Service citoyen » par le Parlement, tous partis confondus, et par de nombreuses organisations du monde économique. Ce rejet traduit les craintes d’un monde plus instable et insécure.  Il ne remet pas en cause le bienfondé de la réflexion. L'engagement citoyen et la culture du bénévolat qui font la force de notre société doivent certainement être encouragés. Mais l’obligation de fournir des prestations ne devrait être imposée à la population que dans la mesure où celles-ci sont nécessaires pour assurer la sécurité, tâche régalienne de l’État.

L’initiative populaire « Service citoyen », soumise au vote le 30 novembre 2025, propose une modification de la Constitution fédérale, notamment l'ajout d'un nouvel article 59, régissant l'obligation de service pour toutes les personnes de nationalité suisse. Cette modification vise à instaurer un service au bénéfice de la collectivité et de l'environnement, pouvant être accompli dans l'armée, la protection civile ou d'autres services de milice équivalents reconnus par la loi. Les personnes n'accomplissant pas ce service seraient tenues de s'acquitter d'une taxe d'exemption. Le Conseil fédéral comme le Parlement recommandent son rejet (CN : 18 Oui/173 Non/6 abstentions ; CE 8 Oui/34 Non/1).

 

120.4062 Mo PLR Pour un service citoyen. Poursuivre le développement du système de milice et garantir les effectifs