Notre invité, Monsieur Pierre-Alain L’Hôte, nous expose dans cette interview les dangers que représente l’Initiative « pour l’avenir », une initiative extrême qui aurait des conséquences désastreuses pour la Suisse et surtout pour Genève. Le projet soumis au peuple propose de taxer à 50 % les successions et donations de plus de 50 millions, pour reverser les recettes de cet impôt à une lutte « socialement juste » contre la crise climatique. Outre la perte d’un important substrat fiscal, cette initiative dangereuse aurait pour conséquence de dissuader des personnes domiciliées à l’étranger de venir s’installer dans notre pays, voire d’engendrer le départ à l'étranger de contribuables concernés.
1. Les perspectives de recettes de l’Initiative « Pour l’avenir » sont-elles illusoires ?
Celles et ceux qui attendent des recettes fiscales massives grâce à l’initiative de la Jeunesse socialiste vont être déçus. Dans les faits, un niveau de taxation aussi élevé provoquera l’effet inverse en poussant une majorité des personnes concernées à quitter le pays. Les recettes fiscales espérées seraient alors largement compromises. Avec le départ de ces contribuables, les collectivités publiques perdraient les montants versés chaque année au titre de l’impôt sur le revenu et sur la fortune. Selon le Conseil fédéral, les pertes de recettes seraient de l’ordre de 2,8 à 3,7 milliards de francs. L’initiative mettrait en péril l’économie et le financement des services publics.
2. Est-il réaliste de taxer ainsi les entrepreneurs héritiers d’une entreprise familiale ?
Non, la fortune d’un entrepreneur, soit son outil de travail, n’est pas liquide. Elle est investie dans des équipements de production, des bâtiments, des véhicules, etc., tout ce qui est nécessaire pour faire fonctionner une entreprise qui est par ailleurs déjà taxée sur son résultat, comme ses actionnaires sur leur fortune.
3. Les entreprises helvétiques sont à 80% des PME familiales, quelles seraient pour elles les conséquences d’une acceptation de cette initiative ?
Si l’initiative était acceptée, les entreprises familiales moyennes et grandes seraient fortement impactées puisqu’en cas de succession, la valeur de l’entreprise est comprise dans la valeur du patrimoine transmis. En l’absence des liquidités nécessaires, les héritiers seraient contraints de vendre tout ou partie de la société familiale pour s’acquitter du montant de l’impôt. Les acheteurs suisses en mesure d’acquérir une entreprise de taille moyenne ou grande sont rares.
Ce sont des investisseurs étrangers, souvent focalisés sur le court terme, qui prendraient le relais, avec potentiellement des restructurations ou des délocalisations comme résultat.
Des cessations d’activité pourraient aussi se produire. Les emplois, les fournisseurs locaux, le savoir-faire seraient menacés. Empêcher une transmission d’entreprise au sein de la famille, c’est créer une rupture.
L’acceptation de l’initiative pourrait engendrer aussi une influence négative sur les investissements et décourager l’innovation. Cela mettrait sous pression les PME qui privilégient la stabilité et le développement à long terme. C’est une vraie menace pour la pérennité des entreprises suisses.
4. La crainte de l’acceptation de cette initiative par le peuple, notamment sa clause de rétroactivité, a-t-elle déjà eu des répercussions au sein des entreprises helvétiques ?
Les exemples étrangers sont révélateurs. Après une hausse modérée de l’impôt sur la fortune et les dividendes, la Norvège ne peut que constater le départ d’un nombre élevé de contribuables aisés. Le Royaume-Uni connaît une situation similaire. Il ne faut pas se voiler la face : un entrepreneur à la tête d’une grande entreprise familiale, dont la transmission pourrait représenter une facture fiscale de centaines de millions, voire d’un milliard de francs, ne resterait pas en Suisse si l’initiative était acceptée. Peter Spuhler, propriétaire de Stadler Rail, a clairement indiqué dans les médias qu’il quitterait le pays. Les impôts qu’il paie chaque année partiraient avec lui.
Jusqu’ici, la Suisse n’a pas encore franchi la ligne rouge mais cette initiative est celle de trop. Même si le Conseil fédéral a confirmé que les mesures visant à prévenir l’évitement fiscal, notamment en ce qui concerne les départs de Suisse, ne seront pas rétroactives afin de préserver une certaine sécurité juridique pour les personnes concernées, j’entends une montée des inquiétudes face à cette initiative extrême qui aurait un impact néfaste en cas d’acceptation.
5. A plus grande échelle, quelles seraient les conséquences pour notre pays ?
La Suisse serait perdante sur tous les fronts, économie, finances publiques, politique climatique. L’initiative mettrait en péril la continuité de la gestion entrepreneuriale et la planification de la relève pour les PME familiales, qui constituent une part essentielle du tissu économique de notre pays. Les PME ont en effet un poids décisif en tant qu’employeurs ainsi qu’en termes d’innovation et de formation. En poussant de nombreux contribuables à l’exil, l’initiative ferait perdre des milliards au détriment du financement des prestations à la population. Prenons l’exemple de Genève, canton dans lequel l’équilibre fiscal est particulièrement fragile. Une petite minorité de contribuables financent une grande part des prestations publiques. Le départ de quelques-uns d’entre eux aurait de lourdes conséquences pour toute la population. Avant même la votation, l’initiative diminue déjà l’attractivité de la Suisse. Les personnes qui pourraient envisager de s’installer dans notre pays en sont dissuadées.
Enfin, cette initiative n’améliorerait en rien la politique climatique de la Suisse, mais obligerait l’État à engager des dépenses inutiles et inefficaces, au détriment des efforts entrepris jusqu’à présent. La Suisse mène aujourd’hui une politique climatique qui repose sur le principe du pollueur payeur.
6. Quels changements importants avez-vous pu constater au sein des entreprises que vous représentez ces dernières années, notamment dans les investissements et les mesures prises, afin d’atteindre l’objectif
« net zéro » d’ici 2050 ?
Les entreprises suisses sont conscientes de leur responsabilité environnementale et s’engagent concrètement, que ce soit par des investissements dans l’efficacité énergétique, la transition vers les énergies renouvelables ou la modernisation des infrastructures. Les résultats sont probants. Ce sont par des mesures incitatives qui permettent de limiter les coûts tout en garantissant la compétitivité des entreprises que l’objectif net zéro sera atteint, pas par une fiscalité punitive et une intervention massive de l’État.
La lutte contre le dérèglement climatique n’est qu’un vernis pour les initiants. Leur projet n’épargne pas, par exemple, des sociétés actives dans la production de trains, qui permettent de réduire l’empreinte carbone de nos déplacements. Ces entreprises devraient aussi passer sous le joug de l’impôt.
7. Comment qualifier l’Initiative des jeunes socialistes ?
Cette initiative est illusoire, risquée et juridiquement contestable. Illusoire, car les recettes attendues ne seront pas au rendez-vous. Risquée, car elle menace directement les entreprises familiales. Elle est enfin contraire à des principes constitutionnels comme celui de l’universalité de l’impôt. On estime qu’en Suisse quelque 2500 contribuables seraient concernés par cette taxation massive. Cibler un groupe si restreint avec une mesure aussi lourde n’est ni juste ni efficace.
Dans le contexte actuel de grande instabilité et d’incertitude, avec des tensions géopolitiques majeures, des conflits commerciaux et un affaiblissement du multilatéralisme, nous n’avons vraiment pas besoin de ce coup de massue supplémentaire.