L’avenir de l’Europe dans ce monde secoué dépendra de plusieurs facteurs, notamment son action politique, sa performance économique, sa dissuasion militaire, mais également son socle de valeurs fondamentales comme la démocratie, le respect du droit international, la défense des règles humanitaires, l’engagement pour l’action multilatérale en faveur de la paix. La Suisse est partie prenante de cet avenir européen. En concluant des accords charpentés avec l’Union européenne, la Suisse ne jouera pas seulement la carte indispensable de ses intérêts mais elle conclura aussi, implicitement, un pacte de valeurs et de civilisation.
Un héritage de la Grèce antique
J’ai toujours pensé que la connaissance de l’histoire aide à l’analyse du présent. C’est une raison pour laquelle une diminution de l’enseignement de l’histoire au profit d’apprentissages plus actuels serait une grave erreur.
S’il est un héritage qui a marqué l’Europe, c’est bien celui de la Grèce antique. Et sans les victoires grecques contre les Perses en 490 et 480 avant JC, serions-nous ce que nous sommes ? Je ne le pense pas. Il est admis aussi que sont nées, là-bas, les prémices de la démocratie.
Les meilleurs périodes pour les cités grecques ont été celles où elles ont collaboré, s’unissant dans les échanges économiques et s’alliant dans l’action défensive. Évidemment, nous sommes davantage les enfants d’Athènes que de Sparte. Et c’est bien leur rivalité provoquant les guerres fratricides du Péloponnèse qui ont affaibli ces cités ; au point que la puissance monarchique macédonienne n’a plus eu qu’à les vassaliser, avant de passer les témoins à Rome. Dans ce déclin, la dérive d’Athènes vers une politique impériale et de domination a joué un grand rôle. Elle a contribué à enterrer le modèle dont elle était porteuse. Elle avait inventé la démocratie ; elle en a porté le deuil durant des siècles. Mais ce qu’elle avait semé, de graines philosophiques, politiques, littéraires, artistiques est parvenu jusqu’à nous. Ne pas en cultiver la connaissance serait d’une rare stupidité.
L’Europe, ses conflits et sa reconstruction
L’histoire européenne fait penser aux anciennes cités grecques. Que de confrontations, dynastiques puis nationales entre ses composantes. Pensons aux guerres franco-anglaises puis franco-allemande. Mais, au moins, il y a eu une Europe des intellectuels, des artistes, des philosophes, des penseurs politiques, économistes. L’Europe comme telle avait un héritage en commun, dans sa diversité et ses complémentarités. Elle n’a pas su, pour autant, éviter les pires dérives de fureur et de sang. Elle en a pris conscience, enfin, au lendemain de l’épouvantable guerre mondiale. Elle s’est reconstruite sur des valeurs démocratiques, en s’appuyant sur la puissance devenue dominante mais démocratique des États -Unis. Les années qui ont suivi ont confirmé cette prééminence américaine ; rempart contre une Union soviétique rêvant d’asservir toute l’Europe ; comme elle le fit avec les pays européens de l’Est.
Un élan européen nouveau
Toutefois, un élan européen nouveau a surgi. Des États européens, si longtemps ennemis, ont créé une dynamique et une construction développant d’étroites collaborations. Comment banaliser cette réunion de pays en recherche de prospérité commune et porteurs de valeurs démocratiques retrouvées et proclamées ? Certes, l’équilibre entre le respect des souverainetés nationales et la consolidation d’institutions européennes est difficile à maintenir. D’où des tensions et des réticences souverainistes dans plusieurs pays. Quant à la Suisse, le souci de préserver ses institutions démocratiques, si particulières et essentielles à son identité nationale, l’amène à une oscillation entre distance et arrimage européen.
Bon, mais le monde bouge et est secoué. Les modèles démocratiques portés par l’Europe sont-ils en voie d’affaiblissement ?
Et si la dérive de Trump, par imprégnation des cerveaux, était aussi dangereuse que les menaces de Poutine ?
L’avenir de l’Europe à un moment crucial
Ou pour dire les choses autrement : L’Europe est-elle en voie d’affaiblissement irrémédiable à tous égards, faute d’avoir suffisamment d’unité ; mais aussi parce qu’elle manquerait d’un attachement viscéral à ses valeurs démocratiques ? Non ce n’est pas une interrogation en l’air. Des enquêtes d’opinion semblent indiquer cet affaiblissement de conviction et d’attachement. Cela pourrait devenir grave. L’avenir de l’Europe, de son poids, de son rayonnement et de son influence dans ce monde secoué dépendra de plusieurs facteurs. Il faut qu’elle soit cohérente, forte dans la parole et l’action politique. Il faut qu’elle soit économiquement performante et militairement dissuasive. Il faut qu’elle soit porteuse de valeurs fondamentales : démocratie, respect du droit international, défense des règles humanitaires, engagement pour l’action multilatérale en faveur de la paix.
La Suisse, partie prenante de l’histoire européenne
À cela, la Suisse est partie prenante. La connaissance de l’histoire, l’analyse du présent et la responsabilité pour l’avenir demandent une marche dans ce sens, les yeux ouverts et le pas décidé. En concluant des accords charpentés avec l’Union européenne, la Suisse ne jouera pas seulement la carte indispensable de ses intérêts mais elle conclura aussi, implicitement, un pacte de valeurs et de civilisation.