La valeur locative est un impôt absurde dont beaucoup attendaient la suppression avec impatience. Le texte adopté par le parlement déçoit, à Genève il inquiète même. La réforme prévoit de supprimer la valeur locative mais également les déductions existantes. Pour de nombreux ménages, la conséquence sera une hausse d’impôts, moins de rénovations de leurs biens, et ainsi une transition énergétique ralentie. Cyril Aellen, conseiller national, analyse pour notre journal pourquoi ce projet est un compromis bancal, qui complique et crée de nouvelles injustices, qu’il convient de rejeter.
Une réforme attendue… un texte décevant
Nous aurions dû nous en réjouir. En effet, depuis des années, la suppression de la valeur locative figurait parmi les réformes les plus attendues. Cet impôt absurde, fondé sur un revenu fictif que personne n’encaisse, ne correspond plus à rien. Il est devenu le symbole d’un système fiscal déconnecté des réalités. Sa disparition aurait dû être synonyme de justice fiscale, de simplicité et de cohérence.
Au lieu de cela, le texte adopté par le Parlement en décembre 2024 déçoit. Une majorité du parlement a été aveuglée par la seule nécessité du combat. Pour Genève, le texte inquiète. Loin de soulager les contribuables, il crée de nouvelles charges, de nouvelles inégalités, de nouvelles incohérences.
Une injustice sociale
Genève n’est pas un canton comme les autres. Ici, l’accession à la propriété est rare, difficile et souvent le fruit d’années d’épargne patiente. Ceux qui parviennent à franchir ce pas s’endettent lourdement, souvent pour des décennies, et comptent sur chaque levier fiscal pour entretenir leur logement, financer quelques travaux ou simplement assumer leurs charges courantes.
Or, la réforme, telle qu’elle a été votée, les pénalise directement. La suppression de la valeur locative ne compense pas la disparition des déductions existantes. Pour de nombreux ménages, la conséquence sera une hausse nette de l’impôt. Le paradoxe est saisissant : la réforme devait corriger une injustice, elle en crée une nouvelle. L’État, lui, n’y perdra rien. Au contraire : en raison de l’effet dynamique de la fiscalité, ses recettes augmenteront. Mais elles croîtront sur le dos des petits et jeunes propriétaires.
Une incohérence écologique
À cette injustice sociale s’ajoute une incohérence écologique. La réforme supprime les déductions fiscales pour les travaux d’assainissement énergétique. Pourtant, chacun sait que la rénovation du parc immobilier est l’un des leviers indispensables pour atteindre nos objectifs climatiques.
Au moment même où la Suisse s’engage à accélérer la transition énergétique, pourquoi affaiblir un des rares outils efficaces à disposition ? Comment expliquer que, plutôt que d’encourager les investissements privés dans la rénovation, on choisisse de les décourager ? C’est incompréhensible.
Le tissu économique fragilisé
Le même constat vaut pour la fin de la déductibilité des frais d’entretien. Entretenir son logement, ce n’est pas du luxe. C’est préserver la valeur d’un bien, maintenir un cadre de vie décent, éviter la dégradation du patrimoine immobilier. Mais c’est aussi faire vivre une économie locale faite d’artisans, de PME, d’entreprises familiales et éviter le travail au noir.
Supprimer ces déductions, c’est fragiliser tout un tissu économique. C’est réduire la demande pour des métiers de proximité, souvent déjà sous pression.
Une occasion manquée
La suppression de la valeur locative devait être un progrès net, lisible, juste. Le Parlement avait l’occasion de transformer un mécanisme archaïque en une réforme moderne, cohérente et socialement équilibrée. Au lieu de cela, il a produit un compromis bancal, fruit de calculs budgétaires à court terme et de tractations politiques. La réforme devait simplifier. Elle complique. Elle devait corriger une injustice. Elle en crée de nouvelles. Elle devait être une avancée. Elle devient une régression.
Je reste convaincu que la suppression de la valeur locative est une réforme juste et nécessaire. Mais pas à ce prix. Pas en sacrifiant l’équité territoriale. Pas au détriment des classes moyennes. Pas en affaiblissant la transition énergétique. Pas en fragilisant le patrimoine immobilier et l’économie locale.
Refuser ce projet, ce n’est pas tourner le dos à la réforme. C’est au contraire exiger mieux. Exiger un texte fidèle à l’esprit initial, qui supprime un impôt absurde sans punir ceux qui ont fait le choix, courageux et coûteux, d’accéder à la propriété.
Non à une réforme dénaturée
Oui, la valeur locative doit disparaître. Mais pas ainsi. Pas au détriment de ceux qui, à Genève comme ailleurs, essaient simplement de construire un avenir pour leur famille dans un logement acquis avec effort et responsabilité. Je vous invite donc, malheureusement, à voter NON à cette réforme totalement dénaturée.